19 décembre 2017

Dracula et le mythe du vampirisme au cinéma

Chronique du 30 janvier 2005, dernière mise à jour : 19 décembre 2017

Né au cœur des épaisses forêts de la Transylvanie, à travers le folklore populaire et les croyances ancestrales, le vampire est peu à peu devenu une figure incontournable du cinéma et de l’imaginaire collectif. 
Créature démoniaque théoriquement éternelle, associant l’Éros et le Thanatos, touchant aux peurs et aux tabous universels en incarnant la crainte de la contamination par le sang (d’abord symbole de la peste et son étendue, et plus tard, allégorie du Sida), le vampire – et Dracula en particulier – est un des mythes les plus ancrés dans la société, malléable aux époques, et ayant le plus stimulé l’imagination des écrivains et des scénaristes. 
Cela explique certainement son immortalité par-delà les frontières sur les cinq continents, ménageant un curieux mélange d’attraction et de répulsion.

Sortant de son domaine ancestral pour menacer les structures mêmes de notre civilisation, le fléau des Carpates a subi au cours des siècles de nombreuses métamorphoses. 
 
Du vieux châtelain d’Europe centrale vivant reclus dans le décor sinistre de sa forteresse isolée (les productions de la Hammer) au couple oisif formé d’une femme fatale et d’un aristo aux yeux vairons fréquentant les night-clubs dans un New York décadent (Les Prédateurs), en passant par ses relectures à travers le regard de très grands cinéastes comme Murnau, Dreyer, Coppola, Polanski ou Herzog, ou encore sa mue en lycéen métrosexuel tête-à-claques dans la saga Twilight, le vampire hante un flot considérable de films de valeur et d’intensité inégales. 
 
Au milieu des nombreuses variations à l’érotisme racoleur et des nanars ringards que le genre a pu engendrer, émergent parfois quelques chefs-d’œuvre aussi rares quindispensables

 
Texte et recherches : Romain Lehnhoff
 
Ce sujet fait bien sûr l’objet de nombreux livres souvent passionnants. Étant donné la difficulté de condenser en une seule chronique l’immense variété d’un thème aussi vaste, cet article est une synthèse qui restera forcément incomplète dans la citation des titres et leurs résumés. De toute façon il serait vain de faire un inventaire exhaustif. Je m’efforcerai donc de n’évoquer que ce qui m’apparaît comme essentiel et cela représente déjà beaucoup.

 
Avant de pousser ses hautes grilles en fer forgé et d’avancer dans l’allée carrossable vers le château du Prince des Ténèbres, au risque de finir marqués de sa légendaire empreinte, celle de ses canines expertes sur des veines vidées de leur sang, revenons longtemps, très longtemps en arrière, le temps d’un flash-back sur les origines d’un mythe aujourd’hui largement ancré dans l’imaginaire collectif

Dans les grandes religions monothéistes, le sang a une désignation funeste : en mangeant le fruit défendu et en faisant céder l’homme à la tentation, Dieu décide de punir Adam et Ève, condamnant l’homme à travailler pour se nourrir puis mourir, et la femme à enfanter dans la douleur. Les menstrues sont perçues comme une punition envers les femmes et un symbole de leur « impureté ». 
En se nourrissant de sang humain, le vampire, créature maudite liée au Diable, transgresserait ainsi les lois divines.  
 
Les origines du suceur de sang apparaissent notamment avec certaines légendes juives qui désignent la première créature hématophage comme étant Lilith, femme d’Adam avant la création d’Ève, façonnée en même temps qu’Adam selon la littérature kabbalistique, mais avec de la terre impure. Répudiée, elle deviendra la reine des mauvais esprits et s’enivrera du sang des nourrissons et des jeunes hommes pour les dépouiller de leur virilité.


Dans le Christianisme néoplatonicien - qui célèbre l’idée que la vie continue après le trépas en tant qu’âme, le thème du non-mort apparaît sous la forme des âmes en peine. 
Pendant les épidémies de peste au Moyen Âge, des malades inhumés hâtivement (par crainte de propagation de la maladie) sont retrouvés couverts de sang au moment de rouvrir les fosses communes en vue d’y enfouir d’autres corps. Apparaît ainsi la théorie du non-mort buveur de sang revenant affliger les vivants
 
Des rumeurs se répandent dans toute l’Europe. Les histoires, exagérées par le bouche à oreille, amplifiées et déformées par l’imaginaire populaire, font l’écho de défunts, souvent excommuniés, sortant de leur tombe pour venir tourmenter les vivants. S’il apparaît évident que les malades ont simplement été enterrés vifs, et que les traces sanglantes témoignent de leurs efforts désespérés pour tenter de se désensevelir, les autorités ecclésiastiques ont bien été obligées de trouver une explication religieuse, d’autant que ces recensements de « ressuscités » sont nombreux. 

Ainsi, le Jugement dernier accorde la rédemption à condition que la mort ait reçu l’extrême onction, sous peine d’être exclu et d’errer entre le monde des morts et celui des vivants (comme les suicidés, les pécheurs et les excommuniés).


À l’ouest de l’Europe, les idées et découvertes de la Renaissance, opposées aux croyances théologiques, suivies de celles des philosophes des Lumières, vont rapidement dédramatiser l’inexplicable, combattre l’obscurantisme, et contribuer à renverser les superstitions et croyances irrationnelles afin de faire triompher la Raison et la pensée scientifique. Mais les conceptions intellectuelles des contrées occidentales ont bien du mal à franchir les frontières des pays de l’Est, plus pauvres et difficiles d’accès, d’autant que la majorité de la population est analphabète. 
 
La superstition a franchi les Balkans, et se répand dans l’Europe orientale, expliquant pourquoi Bram Stoker choisira les Carpates comme cadre d’origine de son roman.

Après la Renaissance et les Lumières, le XIXe Siècle va vivre autant une révolution industrielle quidéologique. On s’interroge sur la nature de ce qui était jusque là ignoré ou refoulé. Les poètes et romanciers se voient investis d’un rôle nouveau, devenant pour Sigmund Freud « de précieux alliés, et il faut attacher un grand prix à leur témoignage, car ils connaissent toujours une foule de choses entre ciel et terre, dont notre sagesse académique ne saurait encore rêver. Même en psychologie, ils ont beaucoup d’avance sur nous qui sommes des hommes ordinaires, parce qu’ils s’abreuvent là à des sources que nous n’avons pas encore exploitées pour la science (Le Délire et les rêves dans la « Gradiva » de W. Jensen, 1903). »

Lassés des Lumières, les conteurs romantiques vont se révolter contre l’utilitarisme dominant, et affirmer la souveraineté de l’imagination et de l’émotion sur la logique froide et économiste du capitalisme naissant. Pour eux, l’individu prime sur le collectif et ils vont, de façon nostalgique, s’employer à réactualiser une époque où l’on croyait encore au surnaturel.

Ils se fascineront pour le folklore et les histoires venues d’ailleurs, comme celle de la comtesse hongroise du XVIe Siècle un brin déjantée Erzsébet Báthory, dite la « comtesse rouge », qui prenait des bains de sang de jeunes vierges pour conserver la fraîcheur de son teint et se prémunir ainsi contre la vieillesse. 
 
Plusieurs biopics sur son histoire (parfois totalement fantaisistes) ont été réalisés au cinéma. Julie Delpy signera sa version avec La Comtesse en 2009.


Une formidable suite de contes, récits et nouvelles de qualité va apparaître dans la littérature fantastique qui s’adresse alors à un public citadin cultivé, et au fait des découvertes scientifiques, utilisant les revenants et démons pour leur donner une signification symbolique, psychologique, différente des légendes populaires.

Le vampire est déjà un personnage presque anachronique, du moins archaïque lorsque, à défaut de l’inventer, John William Polidori va contribuer à façonner son mythe avec la nouvelle Le Vampire (The Vampyre, 1819), écrite à partir des brouillons de Lord Byron – d’ailleurs la nouvelle sera au début publiée avec la fausse attribution « Un conte de Lord Bryon ». 
Polidori instaure la convention du non-mort dandy et séducteur dont les actes ont une connotation fortement sexuelle, premier d’une longue lignée de nobles vampires. Jusque là, le vampire était décrit comme étant plus proche d’un zombi ou un mort-vivant bestial et sauvage, que d’un aristocrate.
Lord Ruthven est l’archétype du Don Juan cynique et débauché, jouissant de l’attraction et de l’emprise que son charme sulfureux lui assure sur la société. Mais surtout, Polidori associe explicitement la mort au plaisir, et le texte est devenu fondateur du mythe tel que nous le connaissons encore aujourd’hui.

 
Ce type de relation érotisante, sadomasochiste, sera amplifié chez trois autres écrivains. La Morte amoureuse de Théophile Gautier, conte fantastique raconté à la première personne, est paru en 1836 dans La Chronique de Paris. Il relate la manière dont Romuald, jeune séminariste menant une vie ascétique le jour, va succomber la nuit au charme de la maléfique beauté de Clarimonde, courtisane qui le drogue et se nourrit de son sang.
 
Dans un des poèmes condamnés des Fleurs du mal, Les Métamorphoses du vampire (1857), bourré de connotations sexuelles, Charles Baudelaire décrit une femme-vampire nymphomane et pourrissante. 
 
Enfin, le roman Carmilla (1872) de l’Irlandais Joseph Sheridan Le Fanu, inspiré par la comtesse Erzsébet Báthory, donne une dimension érotique plus affranchie, avec une métaphore de l’amour interdit moins classique dans le puritanisme d’une société victorienne où le simple fait de mentionner l’homosexualité casse un tabou énorme. 

Dans un château isolé en Styrie, Laura, la narratrice, recueille une jeune femme du même âge, Carmilla, qui exerce rapidement une fascination érotique sur elle. Son invitée se révèle être la comtesse Mircalla de Karnstein, morte depuis plus d’un siècle (Carmilla étant l’anagramme de Mircalla). Elle profite de la naïveté de Laura pour la séduire, s’abreuver de son sang la nuit, avant de finir détruite comme la Clarimonde de La Morte amoureuse, victime des représentants de l’ordre et de la religion. Dans les deux histoires, Romuald et Laura doivent alors se résigner à mener une existence « normale » en devenant, eux aussi, les victimes d’un système idéologique qui impose des valeurs sociales et sexuelles aliénantes.


Dans ces trois cas, le vampire est une « vamp » dont on paie les faveurs de sa vie, sorte de représentation séduisante, d’une froide cruauté mais érotique de la femme fatale, qui charme et apporte la jouissance à ses victimes consentantes. Mentionnons également parmi les fondateurs du mythe moderne Alexis Konstantinovitch Tolstoï (cousin du grand écrivain), et son roman gothique publié en 1840 (après sa mort) La Famille du VourdalakFragments inédits des Mémoires d'un inconnu. Retraçant la transformation d’une famille en vampires, le récit présente le monstre proche de l’image que nous connaissons, qui ne supporte pas les reliques religieuses (crucifix, médailles), paralysant ses victimes à son approche, suçant le sang des vivants jusqu’à ce qu’ils en meurent, et les transformant eux-mêmes en vampires aussi contagieux que leur initiateur.


Inspiré par Carmilla, par le surnom du sanguinaire Vlad de Valachie (prince voïvode du XVe Siècle, dit Drăculea) et richement documenté à partir des récits et légendes folkloriques, Bram Stoker va asseoir le mythe avec son célèbre Dracula, roman épistolaire publié en 1897 qui marque une étape majeure de la littérature fantastique. Renouvelant le roman gothique, Stoker injecte un sang neuf dans le cadavre d’un courant littéraire ayant pourtant déjà amplement abordé le terrain, en introduisant de nouvelles caractéristiques dans la mythologie du vampire...

Jonathan Harker, jeune clerc de notaire, part en Transylvanie afin de régler l’acquisition de propriétés londoniennes avec le comte Dracula. Il réalise peu à peu que son hôte est un vampire qui a décidé de s’installer en Angleterre. Jonathan est retenu prisonnier dans le château, pendant que Dracula arrive à Londres, adopte les codes sociaux et passe pour un individu normal. Il fait sa première victime : Lucy, amie intime de la fiancée de Jonathan, Mina. Lucy développe des symptômes inquiétants et le docteur Seward, un de ses soupirants éconduits, essaie tant de bien que mal de la soigner. Il traite également un patient, Reinfield, victime des mêmes symptômes. Le docteur Abraham Van Helsing, confrère de renom, est appelé en renfort et diagnostique à Lucy le vampirisme comme cause de la maladie. Mais il est trop tard et Lucy meurt pour devenir vampire à son tour. Van Helsing, aidé les autres protagonistes, parvient à la libérer de cette condition, mais Mina est à son tour victime de Dracula. Van Helsing va devoir partir en Transylvanie avec les autres hommes, dont Jonathan qui a réussi à s’enfuir du château, pour neutraliser Dracula. Mina ne mourra pas, mais ne sera définitivement sauvée qu’une fois Dracula éliminé.


En restituant l’atmosphère des romans de la tradition gothique, avec forteresse en ruines perdue dans les Carpates, cryptes et créatures médiévales, et en la contrastant avec des scènes de vie anglaise contemporaine dans un Londres en pleine mutation, prenant en compte les découvertes en sciences modernes (comme la psychiatrie), le classique de Stoker va apporter une signification totalement en phase avec les préoccupations de l’époque victorienne. 
 
Narrativement, la recherche formelle très alambiquée juxtapose dans un style journalistique une multiplicité de points de vue à la première personne, facilitant l’identification, à travers les dossiers, notes, carnets de voyages et lettres intimes des différents personnages. Cela accentue le sentiment de solitude qu’ils ressentent individuellement face au monstre et dans leur lutte pour le détruire.


Figure de la tentation, à la fois séduisant et repoussant, sublime et monstrueux, Dracula est l’archétype de l’individu qui possède un charme irrésistible en dépit d’une âme souillée, à la Dorian Gray (*), et un pouvoir absolu sur les femmes, qui les charme, les envoûte, les pénètre de ses longues canines et en fait ses esclaves pour l’éternité.
(*) À ce sujet une petite parenthèse sur la rumeur très répandue (notamment sur Internet) selon laquelle Oscar Wilde aurait qualifié Dracula de « plus beau » ou « plus grand » roman jamais écrit, qui a peu de chances de s’avérer vraie. D’abord je n’ai jamais trouvé de source crédible sur cette citation. Ensuite Wilde est en pleine déchéance, complètement tombé en disgrâce à la fin de sa vie (il sort de prison et il lui reste trois ans à vivre au moment de la publication de Dracula) et très peu de ses déclarations à cette période sont restées. Enfin Wilde ne s’est jamais remis de la séparation d’avec son grand amour de jeunesse, Florence Balcombe, qui est devenue entretemps… madame Florence Stoker. Bien sûr ce n’est pas impossible, mais cela amoindrit quand même les chances que Wilde ait pu vanter, à ce point, le travail de son rival.

Les implications ou allusions sexuelles de Dracula voisinent avec des tabous encore pesants pour l’époque : adultère, viol, homoérotisme, sadomasochisme, sexualité de groupe ou, bien sûr, nécrophilie. De quoi faire les délices d’un psychanalyste. Notons que le roman ne connaitra qu’une seule suite autorisée par ses héritiers parmi un très grand nombre de non-officielles, Dracula limmortel (Dracula the Un-dead, publié en 2009), écrit par Ian Holt et l’arrière-petit neveu de Stoker, Dacre Stoker.

Avec l’invention du cinématographe, le mythe ne tarde pas à figurer sur le grand écran. 
 
Il y apparaît même dès l’année suivant sa création avec Le Manoir du diable (1896) de Georges Méliès, devenant ainsi le premier film à aborder le vampirisme. 
Nous y retrouvons quelques codes du genre, avec une chauve-souris se transformant en monstre à l’apparence humaine, ici Méphistophélès, et le Mal vaincu par un crucifix. 
 
Arriveront plus tard des films comme Le Vampire (The Vampire, 1913) de Robert G. Vignola, The Vampire (1915) d’Alice Guy, ou Le Village vampire (The Village Vampire, 1916) d’Edwin Frazee.


Mais le véritable coup de génie qui donnera ses premières lettres de noblesse au genre est l’immense chef-d’œuvre de Friedrich Wilhelm Murnau : Nosferatu, eine Symphonie des Grauens (1922) a.k.a Nosferatu, une symphonie de l’horreur, mais sorti chez nous sous le titre Nosferatu, le vampire. Adaptation à faible budget dans un septième art encore débutant, le film de Murnau reste (à mes yeux tout au moins) le meilleur film de vampire de l’histoire du cinéma. Le compte transylvanien erre dans une atmosphère de pourrissement, au milieu de décors d’une beauté glaçante issus d’une jeune école expressionniste allemande, où les ombres elles-mêmes deviennent des personnages.
 
Rappelons que pour des questions de droits, cet incontournable classique a bien failli disparaître pour toujours, un sort qu’avait déjà connu la précédente adaptation hongroise du roman (pourtant très libre paraît-il) intitulée La Mort de Dracula (Drakula halála, 1921) de Károly Lajthay, film aujourd’hui considéré comme définitivement perdu. 


En effet, Florence Stoker, veuve de l’écrivain mort en 1912, intente un procès pour plagiat contre ce genre de productions et même, dans le cas de Nosferatu, en dépit de la modification des noms des lieux (la fictive Wisborg au lieu de Londres) et des personnages (le clerc de notaire n’est plus Jonathan Harker mais Thomas Hutter, Mina devient Ellen et Dracula le comte Orlock). Les producteurs sont contraints par un tribunal britannique de brûler toutes les copies et le négatif du film. 
 
Il faudra attendre 1937 et la mort de la veuve Stoker pour tirer le non-mort expressionniste de son sommeil prolongé et revoir, grâce à des copies cachées à travers l’Europe, sa silhouette lugubre se profiler sur le pont d’un navire en perdition ou dans l’encadrement d’une fenêtre.
 
Mais au-delà de ces libertés, Nosferatu demeure assez fidèle au roman, dans sa trame narrative jusqu’au maquillage outrancier porté par l’acteur venu du music-hall, Max Schreck. Mais s’il correspond à la plupart des descriptions qu’en avait fait Stoker sur le personnage, il affiche cependant quelques différences comme des incisives hypertrophiées au lieu des fameuses canines, et un crâne chauve au lieu d’une grande chevelure blanche. 
 

Près de soixante ans plus tard, Werner Herzog décidera de réaliser sa version du film de Murnau, prouvant au passage qu’on peut réussir un remake de classique. 
 
Nosferatu, fantôme de la nuit (Nosferatu: Phantom der Nacht, 1979) est en effet presque aussi génial que l’original. Accompagné par la musique délicieusement macabre et psychédélique du groupe Popol Vuh, le film bénéficie d’une distribution magnifique : Bruno Ganz, Isabelle Adjani, Roland Topor et surtout, dans le rôle du comte hématophage, l’acteur et ennemi fétiche du cinéaste, Klaus Kinski, plus terrifiant que jamais. 
 
Le film d’Herzog connaîtra une suite directe, Nosferatu à Venise (Nosferatu a Venezia, 1988), toujours avec Kinski dans le rôle principal et réalisé par le producteur Augusto Camitino après plusieurs désistements suite au comportement infect de sa vedette principale. Malgré une distribution internationale comptant Donald Pleasence ou Christopher Plummer, le film est une catastrophe nanardesque où Kinski a décidé, pour des raisons pratiques, de se passer des heures de maquillage du précédent film, pour un résultat carrément grotesque.


À partir des années trente et quarante, les véritables adaptations officielles de l’œuvre de Stoker voient le jour, gardant plus ou moins fidèlement l’esprit du roman. Le succès sur les planches de la scène londonienne, puis new-yorkaise, de la pièce Dracula écrite en 1924 par Hamilton Deane, attire naturellement les producteurs de cinéma.

Suite à son Londres après minuit (London After Midnight, 1930), film muet traitant du sujet vampirique, considéré – lui aussi ! – comme perdu (il sera remonté en 2002 à partir de photos du film et son scénario), Tod Browning, génial réalisateur de Freaks, se voit confier en 1931 l’adaptation cinématographique de la pièce de Deane.


Apparaissant entouré de ses trois épouses dans sa crypte sinistre, tapissée de toiles d’araignées et grouillant de rats, Bela Lugosi reprend ainsi le rôle du comte qu’il tenait déjà sur les planches (après la mort de Lon Chaney qui était pressenti au départ) avec le même jeu outrancier, théâtral et caricatural. 

La créature est d’ailleurs dépourvue de ses célèbres canines hypertrophiées qui sont pourtant sa marque distinctive. Il devient historiquement le premier film fantastique de l’ère du parlant. Même s’il s’en dégage aujourd’hui un charme désuet mais assez kitsch, le Dracula de Browning est un film lent, statique et dénué de rythme. Malgré un travail parfois intéressant sur la photographie, il est malheureusement plutôt difficile à regarder de nos jours sans rire sous cape ou piquer du nez. 
 
Notons que la Universal, qui l’a produit, a lancé simultanément pour le marché espagnol le tournage d’un autre Dracula en langue ibérique, réalisé par George Melford, tourné de nuit dans les studios où Browning met en scène son film pendant la journée.


Le Dracula de Browning connaît un immense succès populaire, et le cinéaste décide de tourner une fausse « suite » produite par la MGM. 
 
La Marque du vampire (Mark of the Vampire), sorti en 1935, est davantage un remake de son film perdu, Londres après minuit, qu’une suite directe de Dracula, et dans lequel Bela Lugosi devient le comte Mora, errant la nuit dans les cimetières accompagné par sa fille Luna, et terrorise une petite bourgade. Le film souffre des mêmes défauts que son prédécesseur amplifiés par un remontage de la MGM, retirant au passage une scène incestueuse entre le comte et sa fille jugée un peu trop osée. 


Entretemps, le danois Carl Theodor Dreyer réalise une œuvre nettement plus mémorable : Vampyr (1932), production franco-allemande inspirée par deux nouvelles de Le Fanu, Carmilla et La Chambre de l'auberge. Ni parlant ni muet, reposant sur des images vaporeuses, éthérées, aussi belles qu’énigmatiques, le film suit le parcours irréel d’un chasseur de phénomènes paranormaux, le Allan Gray du titre original (Vampyr - Der Traum des Allan Grey, 1932), qui croise vampires et revenants au milieu de décors lugubres au cours d’une journée inquiétante et onirique virant au cauchemar.


Suite au succès du Dracula de Browning, la Universal a produit deux suites, dans lesquelles Lugosi refuse de jouer (par crainte d’être cantonné à un rôle écrasant toute sa vie). D’abord La Fille de Dracula (Dracula’s Daughter, 1936), adaptation superficielle de la courte nouvelle L’Invité de Dracula de Bram Stoker (nouvelle qui en réalité devait former le premier chapitre de Dracula, mais retiré en raison de l’importance déjà énorme du recueil – aujourd’hui, on trouve parfois ce court texte en préface du roman). Puis Le Fils de Dracula (Son Of Dracula, 1943) de Robert Siodmak.
 
Comme son titre ne l’indique pas, Le Fils de Dracula nous fait bel et bien assister aux exploits du comte en personne, dans un film où un éventuel rejeton n’est même pas mentionné, cette fois dans l’exotisme d’une plantation de la Nouvelle-Orléans, un décor qui sera mieux utilisé plus tard dans le très bon Entretien avec un vampire

À l’instar de son prédécesseur, ce film reste très dispensable, tout comme les séries B voire Z qui commencent à fleurir telles que The Vampire Bat (1933), La Chauve-souris du diable (The Devil Bat, 1940) qui marque le retour à l’écran de Bela Lugosi mais cette fois dans le rôle d’un savant fou, ou The Return of the Vampire (1943) où il reprend le rôle d’un vampire. 

Désormais limité à des navetons et parodies lourdingues du genre Deux nigauds contre Frankenstein (Abbott & Costello Meet Frankenstein, 1948), Lugosi, devenu drogué notoire, cachetonnera jusqu’au tournage du fameux Plan Nine From Outer Space, célébré comme le pire film de l’histoire du cinéma réalisé par un certain Ed Wood, pendant lequel il mourut en 1956. 
 
Il a été enterré dans la cape qui a assuré sa célébrité mais aussi son malheur. Bien sûr, ceci rappelle pour la majeure partie d’entre nous la magnifique interprétation de Martin Landau en Lugosi dans le Ed Wood (1994) de Tim Burton, film pour lequel l’acteur recevra l’Oscar.  


Organiser des rencontres au sommet de « monstres » qui ont fait la gloire d’un studio de cinéma n’a pas commencé avec Marvel ou DC Comics, ni avec Van Helsing (2004) ou les sagas Underworld et Twilight

Déjà à l’époque c’est cette carte que va jouer la Universal, celle de la surenchère. 
Cinema is industry.

Dans La Maison de Frankenstein (House of Frankenstein, 1944), Boris Karloff interprète un savant fou qui réunit la créature de Frankenstein, le loup-garou joué par Lon Chaney Jr. et le comte Dracula interprété par John Carradine. Ce sera le même genre de  réunion absurde que nous retrouverons avec La Maison de Dracula (House of Dracula, 1945), reprenant les mêmes figures et les mêmes acteurs. 
 
Carradine jouera à nouveau le rôle du comte quelques années plus tard pour un western vampirique, Billy the Kid contre Dracula (Billy the Kid vs. Dracula, 1966) où Dracula part à la conquête des ranchs de l’Ouest. Parce que pourquoi pas.

Ceci marque la fin du premier âge d’or vampirique. Le mythe va heureusement fuir ce déclin prévisible et s’expatrier en vue de trouver du sang neuf en Europe.


La menace vampirique quitte l’Amérique pour inonder bientôt les écrans d’un sang frais plus rouge que jamais. C’est en Angleterre, où il subira un lifting essentiel, que le mythe opèrera sa révolution et révélera au passage deux comédiens qui deviendront, pour beaucoup, indissociables de leurs rôles.
 
Le docteur Abraham Van Helsing, médecin, avocat, métaphysicien et tueur de vampires à ses heures perdues, représentation de la Raison et de la Science joué par Peter Cushing, va s’opposer aux forces maléfiques symbolisées par un Dracula encore plus terrifiant, séduisant et pervers que jamais, pour lequel l’imposant Christopher Lee deviendra, avec son charsime surnaturel, l’incarnation définitive.

Dans les nombreux films gothiques tournés par la cultissime Hammer Films, le bouleversement s’effectue avec l’apport du Technicolor, des progrès techniques en matière d’effets spéciaux et, bien sûr, de la libéralisation de la censure (bien qu’encore relative) permettant une violence inédite et un érotisme plus explicite qui feront la réputation de la Hammer. 
 
Le vampire se jette désormais avec délectation sur les gorges de ses proies, jeunes filles dociles gentiment dénudées par des décolletées de plus en plus plongeant, et qui attendent avec fascination sa visite nocturne. Sa destruction, non plus suggérée, devient spectaculaire. Quand il n’est pas brûlé par les premières lueurs du soleil, sa souffrance est montrée à grands renforts de projections (en gros plan) d’un sang rouge vif, éclaboussant son adversaire à chaque coup de maillet sur le pieu qu’il lui enfonce dans le cœur…
 
 

Le Cauchemar de Dracula (Dracula, 1958) de Terrence Fisher ouvre la brèche d’une nouvelle ère en marquant d’une manière éblouissante le retour du vampirisme, insérant autant de nouvelles couleurs que de connotations psychologiques, sociales et érotiques dans le cinéma fantastique.

Fisher, réalisateur attitré de la Hammer, a triomphé l’année précédente avec Frankenstein s'est échappé (The Curse of Frankenstein) dans lequel jouent déjà Cushing et Lee, respectivement le Baron Frankenstein et sa créature, mais c’est avec Le Cauchemar de Dracula que les deux acteurs deviendront mondialement célèbres. 


Contrairement à ce que laisse supposer le titre, la suite Les Maîtresses de Dracula (The Brides of Dracula, 1960) n’est plus centrée sur le comte après la décision de Christopher Lee de ne pas y apparaître (par crainte comme son homologue Lugosi en son temps d’être cantonné à ce rôle toute sa vie). En revanche Peter Cushing est toujours de la partie dans le rôle du docteur Van Helsing, et affronte ici un des cousins de Dracula, le baron Meinster flanqué de sa mère abusive, qui périra douloureusement en se retrouvant face aux ailes d’un moulin formant une croix géante.


Christopher Lee sera de retour dans le rôle-titre, sur insistance des fans, à l’occasion du dernier film de cette trilogie réalisée par Terence Fisher, Dracula, prince des ténèbres (Dracula: Prince of Darkness, 1966), cette fois sans Peter Cushing. 
 
En dehors d’introduire le personnage (présent dans le roman de Stoker) du serviteur simple d’esprit qui aide le comte, et de quelques scènes sanguinolentes qui ont fait le succès de la Hammer (la résurrection du monstre se fait bien évidemment par le sang, celui d’un homme pendu par les pieds et égorgé au-dessus du cercueil de Dracula, et la mort de Helen Kent, alias Barbara Shelley, par un pieu enfoncé dans la poitrine en gros plan), le film n’apporte pas grand-chose à ses prédécesseurs…


À la même période et en dehors des studios de la Hammer, d’autres productions voient le jour en Angleterre. 
 
« Chaque fois que nous avions assisté [avec son coscénariste Gérard Brach] à la projection d'un film d’horreur, à Paris, nous avons constaté que le public riait aux larmes. Pourquoi ne pas réaliser un film dont le comique serait volontaire cette fois ? »
(Roman Polanski, extrait de son autobiographie Roman)
 
C’est ainsi qu’est née l’histoire des « intrépides tueurs de vampires » selon la traduction du titre original du Bal des vampires (The Fearless Vampire Killers, 1967, ou plus exactement The Fearless Vampire Killers or Pardon Me, But Your Teeth Are in My Neck – littéralement « Les intrépides tueurs de vampires ou pardonnez-moi, mais vos dents sont plantées dans mon cou » car la mode est aux titres longs). 
 
Produit par la MGM, firme américaine dont une partie est implantée en Angleterre, tourné entre les Alpes italiennes et les studios Pinewood, ce génial film-culte s’inspire de la globalité des films produits par la Hammer, et plus particulièrement Le Cauchemar de Dracula, Les Maîtresses de Dracula (Herbert, le fils du comte Von Krolock, ressemble beaucoup au baron Meinster) et Le Baiser du vampire (The Kiss of the Vampire de Don Sharp, 1963, notamment pour sa scène du bal).
 
Mais Le Bal des vampires se réfère également à des œuvres beaucoup plus classiques, et il semble évident que le look einsteinesque du professeur Abronsius a été calqué sur l’apparence du mystérieux docteur du Vampyr de Dreyer. 
 

Terrence Fisher laisse le flambeau à d’autres metteurs en scène, alors que le genre marque un évident déclin que scénaristes et cinéastes tentent de compenser par une surenchère de sang et de filles dénudées. 
 
Christopher Lee revient incarner sans grande conviction le Prince des non-morts, d’abord dans Dracula et les Femmes (Dracula Has Risen from the Grave, 1968) de Freddie Francis, ancien caméraman pour Michael Powell ou John Huston, et directeur photo pour Joseph Losey, Jack Clayton et surtout David Lynch.
Ici, le Prince des Carpates s’arrache lui-même le pieu qu’un des héros (Barry Andrews, sosie de Roger Daltrey des Who) lui a enfoncé dans le cœur, avant de finir empalé sur une croix.

Dans Une Messe pour Dracula (Taste the Blood of Dracula, 1969) de Peter Sasdy, le comte a bien failli ne pas apparaître malgré son titre (comme pour Les Maîtresses de Dracula), après le refus de Christopher Lee de reprendre son rôle. L’acteur souhaiterait tourner dans un film proche du roman de Stoker, et non plus dans cette saga qui n’en est que librement inspirée.
 
 
Il a finalement accepté sous la pression du marché américain qui réclame sa présence, et a été ajouté au scénario à la dernière minute, d’où l’arrivée tardive du personnage dans le récit. 
Les Cicatrices de Dracula (Scars of Dracula, 1970), de Roy Ward Baker, éloigne l’histoire du Londres victorien et de la chronologie des précédents opus, marquant un retour du châtelain aristocrate en terres slaves, rampant comme il se doit sur les murs de sa forteresse tel un reptile.


Le souhait de Christopher Lee d’incarner le comte dans une adaptation plus fidèle au livre de Stoker est enfin exaucé grâce à Jesús Franco, cinéaste qui abuse des zooms, et à ses Nuits de Dracula (Nachts, wenn Dracula erwacht).
 
Le film sort en 1970, soit en même temps que la production de la Hammer Les Cicatrices de Dracula, et au même moment que la sortie en France d’Une messe pour Dracula.  
 
L’affichage promotionnel international tente de le vendre en le rapprochant d’un film de la Hammer (bien qu’il ne s’agisse absolument pas d’une production du studio britannique), malgré la volonté de rapprochement avec la singularité du roman, notamment dans l’aspect vestimentaire ou physique du personnage arborant ici une grande moustache.
 
Le faible budget a néanmoins contraint Franco à prendre de nombreuses libertés, et des raccourcis scénaristiques au fur et à mesure du progrès de l’histoire, rendant le résultat inégal, longuet et pas passionnant. 

La déchéance du mythe amorcée avec les dernières productions Hammer se perpétue à l’aube des années 70, avec d’abord la tentative un peu bizarre de Comtesse Dracula (Countess Dracula, 1971) de Peter Sasdy, qui reprend en fait l’histoire de la comtesse Erzsébet Báthory (rebaptisée Elizabeth Nadasdy et interprétée par Ingrid Pitt).

 
Il est préférable de se tourner vers la relecture modernisée par le belge Harry Kümel sortie la même année : l’insolite Les Lèvres rouges dans lequel la grande Delphine Seyrig (L’Année dernière à Marienbad, Baisers volés, Peau d'âne, Le Charme discret de la bourgeoisie) apporte sa classe et son élégance naturelles dans le rôle de la comtesse, et la splendide musique à la fois pop, expérimentale et entêtante de François de Roubaix, notre Morricone à nous.

 

Toujours en 1971, Les Sévices de Dracula (dans lequel Dracula n’apparaît absolument pas), originellement nommé Twins of Evil de John Hough, est le dernier volet d’une trilogie sur la comtesse Mircalla Karnstein, le personnage de Carmilla de Le Fanu, elle-même inspirée de Báthory. 

 
Il succède ainsi à The Vampire Lovers (1970) de Roy Ward Baker et Lust For a Vampire (1971) de Jimmy Sangster. 
 
Dans un contexte où la libération sexuelle a modifié une société autrefois frustrée par la monogamie forcée, cette trilogie Karnstein marque la première incursion de la Hammer dans un érotisme de moins en moins suggestif, avec nudités intégrales et scènes saphiques explicitement montrées. 
 
Ce troisième volet – le seul à être curieusement distribué en France rehausse un peu le niveau des productions Hammer, même si les thèmes ne sont guère renouvelés. 
 
Peter Cushing interprète le cruel bigot Gustav Weil, membre d’une secte liée à l’Inquisition que le puritanisme pousse parfois à des jugements hâtifs, brûlant sur le bûcher des innocentes aux mœurs légères qu’il suspecte de sorcellerie. 
Il recueille ses deux nièces orphelines, Maria et Frieda, interprétées par les sœurs jumelles et playmates anglaises Mary et Madeleine Collinson qui, comme le veut la tradition, passeront la majeure partie du film nues sous leurs nuisettes transparentes. 
Frieda est peu à peu fascinée par un voisin, le comte Karnstein, aristocrate libertin et démoniaque qui, au cours d’une cérémonie sataniste, va ramener à la vie sa descendante, Mircalla Karnstein bien sûr… 


Le Cirque des vampires (Vampire Circus, 1972) de Robert Young, flop au box-office et pour lequel le réalisateur a dû monter le film sans avoir pu mettre en boîte tout le scénario faute de budget, réserve toutefois son lot de violence graphique et d’érotisme assez inédit, notamment une chorégraphie inoubliable, et osée, entre un dompteur et une femme féline entièrement nue sous son body-paint qui ne couvre pas grand-chose. 
Les cinéphiles reconnaitront dans le casting le jeune John Moulder-Brown, l’adolescent de Deep End de Jerzy Skolimowski sorti deux ans avant, et parmi la galerie de freaks le géant culturiste David Prowse, futur Dark Vador dans la saga de George Lucas.


Christopher Lee déteste les films et n’accepte de les tourner que par amitié pour les producteurs endettés. 
 
C’est ainsi qu’il se retrouve dans deux suites se voulant moderniser le mythe : Dracula 73 (Dracula A.D. 1972, 1972) et Dracula vit toujours à Londres (The Satanic Rites of Dracula, 1973), toutes deux signées du réalisateur canadien Alan Gibson. Ressuscité par des jeunes hippies fans de pop-rock et de messes noires, le comte se retrouve pourchassé cette fois par le descendant de Van Helsing, de nouveau interprété par Peter Cushing (reformant ainsi le fameux duo), Lorrimer Van Hesling, et sa fille Jessica. 
 
On notera surtout dans le premier, parmi les victimes du comte, la plus somptueuse des habituées des séries B (voire Z), la « cover-girl » Caroline Munro.


D’autres productions anglaises hors Hammer mettent en scène les démoniaques suceurs de sang, soit dans la parodie comme avec le dispensable Vampira, alias Les Temps sont durs pour Dracula (1974) avec David Niven, soit en allant beaucoup plus loin dans l’érotisme et plans sanglants avec Vampyres (1973) du cinéaste espagnol José Ramón Larraz (crédité Joseph Larraz). 
Marianne Morris et la playmate Anulka (miss mai 73) incarnent deux vampiresses lesbiennes, dont l’une fait de l’auto-stop pour attirer les bons samaritains dans leur manoir et en faire les victimes de leur appétit vorace de sexe et de sang. 


En 1977, la BBC 2 diffuse Count Dracula, un téléfilm de Philip Saville en deux parties qui s’avèrera alors la plus fidèle retranscription du roman de Stoker jamais réalisée jusque là. Le comte vampire retrouve enfin un peu d’élégance et de charme grâce au très classe Louis Jourdan dans le rôle-titre, mais l’ensemble aujourd’hui désuet et d’une théâtralité timide peine à captiver.


Suite à l’échec critique et public de Capitaine Kronos, tueur de vampires (Captain Kronos – Vampire Hunter, 1974), premier volet d’une série de films qui ne verront jamais le jour, mettant en scène le dit-capitaine affrontant Dracula ou même la créature de Frankenstein, la Hammer est en pleine déchéance. 
 
 

Elle coproduit avec la société hongkongaise Shaw Brothers, spécialisée dans les films de kung-fu, Les Sept vampires d’or (The Legend of the 7 Golden Vampires, 1974) de Roy Ward Baker (officiellement) et Chang Cheh (principalement). 
Peter Cushing, notre infatigable tueur de vampires préféré revient pour la dernière fois dans le rôle de Van Helsing, allant dans la Chine du début du XXe siècle affronter un groupe de vampires disciples de Dracula et adeptes de Kung Fu.
Tout un programme. 
 
Si cette œuvre ne restera pas dans les annales du cinéma, elle marque cependant un moment majeur de la Hammer : il s’agit de son dernier film de vampires. 

Dracula, comme d’autres monstres tels que la créature de Frankenstein ou le loup-garou, aura contribué à faire les grandes heures de la Hammer dont la production reste culte encore aujourd’hui…


Après avoir pris son envol grâce à la compagnie britannique, la menace vampirique va s’exporter dans le monde entier. Les Italiens, pour commencer, spécialistes de la récupération des succès du cinéma qu’ils s’amusent à détourner ou moderniser, du western spaghetti aux thrillers dits gialli, se sont naturellement tournés vers le mythe du suceur de sang. 
 
Deux films importants, bien qu’imparfaits, vont lancer les hostilités. C’est d’abord Les Vampires (I Vampiri, 1956), officiellement de Riccardo Freda. Mais le réalisateur a jeté l’éponge au bout de vingt jours de tournage et se fait remplacer par son chef opérateur, un certain Mario Bava (qui signe également les effets visuels sans en être crédité). 


Le second, Le Masque du Démon (La Maschera del demonio, 1960), est signé du même Mario Bava, et va mêler vampirisme et sorcellerie (le terme « vampire » n’y est d’ailleurs jamais prononcé malgré l’évidence). Sous une somptueuse photographie en noir et blanc, le film lancera la carrière de la reine des films d’épouvante Barbara Steele. 
 
Les films qui suivront, sitôt vus sitôt oubliés, feront pâle figure et n’atteindront pas ce cachet baroque et vénéneux. Christopher Lee, himself, a vu de la lumière et passe faire un petit détour par là, apparaissant en comte Von Karnstein dans La Crypte du Vampire (La Cripta e l'Incubo, 1962), nouvelle variation sur le Carmilla de Le Fanu, mais aussi dans des nanars, comme en 1959 où, suite au succès du Cauchemar de Dracula, il apparaît dans Les temps sont durs pour les vampires (Tempi duri per i vampiri). 
 
Tourné dans la Villa Parisi près de Rome, Du Sang pour Dracula (1974), aussi appelé Andy Warhol’s Dracula, est généralement attribué à Paul Morissey, ami et collaborateur du célèbre artiste. Mais il est aussi signé par Anthony Dawson, alias Antonio Margheriti, grand spécialiste italien de série B et de fantastique. 

Interprété par Udo Kier en comte Dracula, Vittorio De Sica, et aussi Roman Polanski et son coscénariste Gérard Brach (qui apparaissent lors d’une partie de jeu d’imitations que Polanski réutilisera plus tard dans Lunes de fiel), le film est une tragi-comédie à la fois drôle et gore, qui écopera d’abord d’un X aux États-Unis et finira coupé, nous montrant un Dracula recherchant désespérément du sang virginal en Italie. 
 
Abusé par ses conquêtes, pas vierges pour un sou, et passant son temps à vomir leur sang impur, le malheureux finira découpé en morceau et empalé par un jardinier communiste et obsédé sexuel joué par Joe Dallesandro. 
 

Le cinéma asiatique va lui-même inviter le non-mort dans quelques pompages éhontés de la Hammer, comme avec une trilogie vampirique produite par la Tōhō et réalisée par Michio Yamamoto, comptant The Vampire Doll ou Fear of the Ghost House: Bloodsucking Doll (Yûrei yashiki no kyôfu: Chi wo sû ningyô, 1970), Le Lac de Dracula (Noroi no yakata: Chi o suu me, 1971) et Evil of Dracula (Chi o suu bara, 1974). 
 
Plus intéressantes seront les adaptations de célèbres mangas en « anime » tels que Vampire Hunter D : Chasseur de vampires (Banpaia hantâ D, 1985) de Toyoo Ashida, et sa suite Vampire Hunter D : Bloodlust (Banpaia hantâ D, 2000) de Yoshiaki Kawajiri, en dépit d’intrigues dérisoires mais offrant quelque chose de plus réjouissant à se mettre sous la dent. 
 
La même année, Blood: The Last Vampire (2000) de Hiroyuki Kitakubo, mélange 2D et 3D et connaîtra en 2009, le temps d’une coproduction internationale, une abominable version « live » du même nom réalisée par le français Chris Nahon.

La France justement, de tradition rationaliste, est peu encline à accepter des histoires fantastiques sur son territoire. La plupart des tentatives se soldent généralement par un fiasco au box-office.
 
En dépit d’un passé pré-Nouvelle Vague dont nous n’avons pas à rougir en matière surréaliste (Méliès, Franju, Cocteau ou Carné), notre pays n’a été que peu touché par la vague vampirique, à part dans des œuvres à vague consonance poético-érotique comme les films de Jean Rollin, spécialiste de la série B expérimentale à la française, du style Le Viol du Vampire (1968), La Vampire nue (1970, de loin son plus réussi esthétiquement), Le Frisson des Vampires (1971), Requiem Pour un Vampire (1971), Les Lèvres de sang et sa splendide affiche (1974, ressorti en 1975 dans une version pornographique intitulée Suce-moi, vampire), Fascination (1979) ou encore bien des années plus tard Les Deux Orphelines vampires (1997). 


Il serait toutefois injuste de penser que toutes les œuvres françaises soient inintéressantes, voire ratées, et citons par exemple le cas de Traitement de choc (1973) d’Alain Jessua, une curiosité avec Alain Delon et Annie Girardot restée célèbre pour sa scène de baignade montrant les deux stars du film courant à poil sur la plage, et qui aborde le thème du vampirisme de façon détournée.


Bien sûr, difficile de ne pas les mentionner, il y a les comédies franchouillardes débiles, un néant cinématographique dans lequel de pétrifiants nanars se perdent et demandent à ne surtout pas être retrouvés. 
 
C’est le cas du méconnu Tendre Dracula (1974), sorti également sous le titre La Grande trouille (The Big Scare pour la version internationale), dans lequel Alida Valli (Le Troisième homme, Senso, Les Yeux sans visage) et Peter Cushing, doublé en VF par Jean Rochefort, donnent respectivement la réplique à Bernard Menez et la fessée à Miou Miou. Notons que c’est Cushing qui, pour une fois, joue le vampire.

  
Christopher Lee accepte à son tour de rendosser sa cape noire et rouge le temps du moins méconnu Dracula père et fils (1976) d’Édouard Molinaro, où il est accompagné de son rejeton du titre, interprété par le même Bernard Menez.

 
Dans Les Charlots contre Dracula (1980), les charlots ont au moins le mérite de ne pas être allés chercher une vedette souhaitant cachetonner. 
 
 
Côté ibérique, en dehors de quelques approches plus ou moins érotiques/pornos qu’il serait sans intérêt de lister, relevons tout de même une œuvre relativement célèbre du déjà cité Jesús Franco, Vampyros Lesbos (1970), avec une des dernières apparitions de Soledad Miranda alors égérie et compagne du cinéaste (elle mourra dans un accident de voiture la même année). 
 
Par la suite, le réalisateur continuera à sillonner les routes du vampirisme à travers des films érotiques vaguement horrifiques (ou le contraire) comme Dracula prisonnier de Frankenstein également intitulé Les Plaisirs de la nuit (Drácula contra Frankenstein, 1972) ou La Fille de Dracula (A Filha de Dracula, 1972), avant de finir par alterner entre productions de série Z fauchées et cinéma 100% cochon, dans lesquels ce sera au tour de sa nouvelle égérie-compagne, Lina Romay, d’être l’héroïne filmée cette fois sous tous les angles.


Le mythe s’est répandu jusqu’en Amérique latine, où le justicier catcheur El Santo « el Enmascarado de Plata » rétame la gueule de quelques vampires superficiels dans le nanar Santo vs. las mujeres vampiro (1962) d’Alfonso Corona Blake, sorti en France sous le titre Superman contre les femmes vampires (car oui, en français Santo devient Superman), puis dans le méga-nanar Santo et le Trésor de Dracula (Santo en el tesoro de Drácula, 1968) de René Cardona. 
 
Plus au Nord, les États-Unis des années 70 ne seront pas spécialement marqués par des œuvres franchement renversantes sur le sujet vampirique. Le cinéma s’apprête à traverser une vague hippie/psychédélique, comme le prouve le navet expérimental devenu culte The Velvet Vampire (1971), produit par Roger Corman et réalisé par Stephanie Rothman, dans lequel une vampiresse nommée Diane Le Fanu (cherchez le clin d’œil) ne craint pas la lumière du jour et parcourt en buggy les dunes californiennes de Joshua Tree.

Les années 70 marquent aussi l’ère de la Blaxploitation, et tous les genres cinématographiques sont recyclés dans une série de films stéréotypés. Visuellement cheaps, souvent violents, ils cherchent à revaloriser la communauté afro-américaine en montrant des héros noirs sûrs d’eux, bottant les fesses de flics blancs corrompus et couchant avec les filles blanches. 

Sur des musiques emblématiques signées Isaac Hayes ou Curtis Mayfield, plus cools que les films, les intrigues reprennent les ficelles du cinéma policier, comique, d’espionnage voire du western ou du péplum. Naturellement, le courant s’est aussi porté sur une relecture des succès du cinéma d’horreur. 
  

Dans Blacula, le vampire noir (Blacula, 1972) de William Crain, Mamuwalde, un prince africain autrefois mordu par un sinistre comte esclavagiste nommé Dracula, est réveillé par erreur en 1972, et devient un vampire black justicier, s’attaquant aux trafiquants de drogue et cherchant à retrouver sa chérie réincarnée dans la peau d’une sister du Bronx. 
 
Le film connaît une suite réalisée en 1973, Scream Blacula Scream par Bob Kelljan, avec une des plus célèbres figures de la Blaxploitation, la future Jackie Brown Pam Grier en apprentie prêtresse vaudou.
Aidée de son petit ami, un policier amateur d’occultisme, elle part affronter le retour de Blacula, qu’elle parviendra à anéantir en plantant des aiguilles dans une poupée vaudou à son effigie. 
 

Aucun de ces deux films n’est indispensable pour une culture cinéphile, mais les mélomanes apprécieront sans aucun doute les bandes originales funky/soul signées Gene Page pour le premier et Bill Marx pour le second, certes datées mais nettement plus intéressantes

Après les maîtresses, les cousins-cousines et autres rejetons de Dracula, les producteurs américains en quête d’originalité se sont tournés vers un successeur inattendu : Zoltan, le chien sanglant de Dracula (Dracula’s Dog, 1977). 
Parti à la recherche de son maître, le canidé vampire de Dracula dort lui aussi dans des cercueils et attaque à la nuit tombée, mordant les humains mais aussi d’autres chiens… 

Sortis à une décennie d’intervalle, des films tels que Dracula ce vieux cochon (Dracula, The Dirty Old Man, 1969) ou Le Vampire de ces dames (Love at First Bite, 1979), aux titres éloquents, continuent d’enfoncer le clou dans le ringardisme généralisé de la production vampirique américaine.



Il faut attendre 1977 pour commencer à retrouver un peu de sérieux, et de voir poindre aux États-Unis les premières œuvres intéressantes sur le sujet – bien que non dénuées de défauts. 
 
Il y a d’abord le surprenant Martin (1977) de George Romero, dans lequel un jeune homme obsédé par le sang croit être un vampire, endormant, violant et entaillant les poignées ou la gorge de ses victimes avec un rasoir ; puis le Dracula (1979) de John Badham, où le mythe retrouve enfin une adaptation digne de ce nom aux States. 
 
Badham sort du succès de son second film, La Fièvre du samedi soir (Saturday Night Fever, 1977) et bénéficie de gros moyens quand il se lance dans le projet, s’entourant de remarquables talents : Frank Langella dans le rôle du sinistre comte, le shakespearien Laurence Olivier pour le professeur Van Helsing et l’inégalable Donald Pleasence en docteur Seward, mais aussi Gil Taylor aux images (Docteur Folamour, Frenzy, La Malédiction, le Macbeth de Polanski ou le premier Guerre des étoiles), et John Williams à la musique, rien que ça. 
 
Bien qu’il respecte l’œuvre de Stoker à quelques libertés-près (Lucy devient la fille du docteur Seward, Jonathan Harker est son fiancé, tandis que Mina est la fille de Van Helsing et devient une vampiresse), il s’agit avant tout d’une adaptation de la pièce d’Hamilton Deane, rejouée sur les planches new-yorkaises en 1977 avec déjà Langella dans le rôle-titre. 

Badham reprend l’imagerie gothique de la Hammer en y ajoutant des effets visuels étonnants même s’ils paraissent aujourd’hui assez datés, comme la transformation du comte en loup, son arrivée dans la chambre de Mina en rampant sur les murs, ou la scène d’amour entre Lucy et Dracula. 


 
 
Dans l’adaptation télévisuelle du roman de Stephen King Les Vampires de Salem (Salem’s Lot, 1979) par le célèbre réalisateur du Massacre à la tronçonneuse Tobe Hooper, le look effrayant de la créature rend directement hommage à l'apparence du comte Orlok dans le Nosferatu de Murnau. 


L’écrivain Ben Mears (David Soul, alias Hutch dans Starsky & Hutch) quitte New York pour retourner dans sa petite ville de Jerusalem’s Lot, dite Salem, afin d’écrire un livre sur une maison isolée en haut d’une colline qu’il croit hantée. Aidé par une jeune fille du coin qui devient sa petite amie, Susan (Bonnie Bedelia, future madame Holly Gennero/McClane dans Piège de cristal), il découvre peu à peu que son nouveau propriétaire, Richard Straker (James Mason, excellent bien sûr), est le fidèle serviteur d’un maître vampire. Pendant ce temps, la ville est victime d’une curieuse épidémie mortelle qui se répand rapidement… 

Sorte de variation moderne du Dracula de Stoker où Salem remplace Londres, ce téléfilm en deux épisodes manque sérieusement de mordant pour séduire sur toute sa longueur. Il est d’ailleurs sorti dans les salles françaises dans un montage tronquant considérablement les 3h que totalisent les deux épisodes, les rabaissant en un film d’1h47. 
 
 
Larry Cohen signera en 1987 une suite cinématographique, Les Enfants de Salem (A Return to Salem’s Lot) avec Samuel Fuller, et plus tard Mikael Salomon reviendra en réaliser un remake télévisuel toujours au format de deux épisodes, Salem (Salem’s Lot, 2004), avec Rob Lowe. Quant à Tobe Hooper, il reviendra quelques années plus tard vers le thème vampirique de façon détournée, avec un film de science-fiction plus ou moins érotique, Lifeforce (1985), adaptation d’un roman intitulé Space Vampires, dans lequel Mathilda May incarne une extra-terrestre très sexy et intégralement nue jusqu’à la fin du film, « vampirisant » d’abord les membres d’équipage d’un vaisseau spatial qui, pour survivre, doivent à leur tour s’attaquer aux êtres humains une fois revenus sur terre. Réservé surtout aux fans de Mathilda May et de son corps parfait. 

 

Le véritable envol en Amérique va débuter dans les années 80, où après les hommages désuets et parenthèses volontairement rétro, le vampire prendra corps dans des productions nettement plus créatives qui commenceront, enfin, à moderniser le mythe.


Dans le New York des Prédateurs (The Hunger, 1983), le couple de vampires spleenétiques formé par Catherine Deneuve et David Bowie trouve ses victimes en fréquentant les night-clubs branchés, où le groupe Bauhaus joue son classique Bela Lugosi’s Dead. Dans ce premier long-métrage de Tony Scott devenu film-phare du mouvement gothique, les vampires mènent une vie luxueuse et oisive dans un immeuble sublime de Manhattan, se préservant des atteintes du temps en se nourrissant de sang humain. Dénués des fameuses canines hypertrophiées, ils saignent leurs victimes à l’aide d’un couteau-pendentif en forme de clé d’Ânkh porté autour du cou.
 
Le petit frère de Ridley s’offre le luxe d’un film lent, à l’intrigue dilatée, apportant déjà un soin attentif à une esthétique parfois outrancière, qui peut repousser certains spectateurs. 
 
Miriam (Deneuve) se balade dans des pièces vides striées par l’ombre des lattes des stores vénitiens, tandis que les rideaux volent au vent et que les colombes blanches passent dans le cadre au ralenti. 
 
À travers le thème de la contamination par le sang lors d’une fameuse scène d’amour saphique où Miriam transmet son virus à Sarah (Susan Sarandon) par le biais d’une morsure, et les effets de dépérissement rapide subis par John (Bowie), nous distinguerons assez aisément les allusions symboliques au Sida et autres maladies épidémiques de notre société contemporaine. 
 
Notons l’importance des choix musicaux contribuant à l’envoûtement général : le Trio pour piano et cordes n°2 de Schubert, Le Gibet de Ravel ou un extrait de l’opéra de Delibes Lakmé, évoquent tous le passé lointain de nos protagonistes, alternant avec l’étrange musique synthétique de Michel Rubini et Denny Jaeger ou le punk-rock assourdissant du Funtime d’Iggy Pop et… David Bowie. Malgré ses effets outranciers, Les Prédateurs opère toujours un charme maléfique, renouvelant le genre et demeurant selon moi le meilleur (et le plus beau) film de vampires des années 80.
  

Dans Vampire, vous avez dit vampire ? (Fright Night, 1985) de Tom Holland, Charlie, ado passionné par les films de série B d’horreur et vivant seul avec sa mère (dans une banlieue ricaine typique très présente dans les productions Spielberg de la même époque), s’aperçoit que son nouveau voisin est un vampire.
Aidé par sa petite amie et de Peter Vincent, la vedette-même de son show TV préféré, il se met en tête de le prouver et de le détruire. 
 
Cette comédie horrifique, assez agréable sans être originale, connaîtra une suite, Vampire, vous avez dit vampire ? 2 (Fright Night 2, 1988) et un remake du même nom en 2011 avec Anton Yelchin et Colin Farrell.
 
 
Après Bowie, c’est au tour de son pendant féminin des 80s, Grace Jones, d’incarner une vampiresse stripteaseuse dans un club tenu par des vampires (idée que reprendront plus tard Robert Rodriguez et Quentin Tarantino dans Une Nuit en enfer), pour une comédie horrifique sans grand intérêt, Vamp (1986).

Car oui, la période est aux comédies fantastiques. C’est ainsi que Jim Carrey se fait connaître Outre-Atlantique avec Vampire Forever (Once Bitten, 1985), film passé complètement inaperçu chez nous avant de finalement sortir dix ans plus tard au moment du succès de The Mask
 
Un autre débutant, Kiefer Sutherland, trouvera lui aussi un rôle iconique dans un film devenu culte et profondément ancré dans son époque, signé Joel Schumacher, Génération perdue (The Lost Boys, 1987).
 
Chef d’un gang de vampires punks californiens à crêtes platinées et fringues disproportionnées en cuir (annonçant quelque part les looks navrants du futur Batman & Robin du même cinéaste), il chevauche sa Harley Davidson en compagnie de ses amis bikers pour de longues et sanglantes virées nocturnes. 


Le film réunit un casting proche du Brat Pack (groupe de jeunes comédiens américains emblématiques des années 80 dont certains ont retravaillé sous la direction de Joel Schumacher, comptant parmi ses membres entre autres Emilio Estevez, Demi Moore, Andrew McCarthy ou James Spader) mais seules deux de ses figures les plus connues, Molly Ringwald et Robe Lowe, apparaissent en clin d’œil dans des posters de la chambre de Sam (Corey Haim), le jeune héros fan de comics qui découvre que son grand frère se transforme peu à peu en vampire. 
Un seul véritable bémol impardonnable est à souligner : les musiques à la sauce rock FM, malgré une reprise de l’excellente People Are Strange des Doors, par Echo & the Bunnymen.


La même année sort le sublime Aux frontières de l’aube (Near Dark) de Kathryn Bigelow. En se faisant mordre et donc contaminer par la belle Mae qu
il tentait de séduire, un jeune fermier d’Oklahoma est contraint de rejoindre son groupe de vampires nomades comprenant Bill Paxton, Lance Henriksen et Jenette Goldstein, autrement dit une partie du casting d’Aliens de James Cameron (compagnon de Bigelow à l’époque, tout se rejoint). 
 
Dormant le jour dans des caravanes soigneusement calfeutrées ou des motels miteux, la nuit ils provoquent des tueries, notamment un massacre dans un bar pour forcer leur nouvelle recrue à se nourrir. 

Avec un rythme volontairement lent auquel participe l’envoutante musique synthétique de Tangerine Dream, le film est épuré, plus proche du road movie ou du western, et débarrassé des codes et clichés à base de crucifix, gousses d’ail, cercueil ou eau bénite.

 
Dans Embrasse-moi, vampire (Vampire’s Kiss) sorti en 1989, Nicolas Coppola (neveu de), alias Nicolas Cage, est persuadé d’être un non-mort suceur de sang. Le film n’a rien de honteux, si ce n’est son acteur aux chevelures variées dont le côté hystérique peut faire rire ou irriter.  
  
Cage entame en effet une longue période faite d’interprétations pour le moins étonnantes, en tout cas survoltées et délirantes qui deviendront plus tard d’incontournables « memes Internet » et rendront les œuvres auxquelles il participe impossibles à suivre sérieusement, à quelques exceptions-près (notamment le génial Sailor & Lula de David Lynch).
 
L’année précédente, le frère de Cage, Christopher Coppola, a lui-même réalisé un navet vampirique, Dracula’s Widow avec Silvia Kristel, célèbre Emmanuelle de la saga érotique du même nom. Elle y campe la veuve du comte transylvanien, dernière de son espèce depuis que Van Helsing a massacré tous les autres vampires. 
 
C’est à croire qu’il voulait gommer la navrante trace cinématographique de ses neveux lorsque, trois ans plus tard, tonton va venir remettre un peu d’ordre dans tout ça et imposer, ENFIN, le véritable retour en grâce du Prince des Carpathes… 
 


En 1992, Francis Ford Coppola plonge dans les sources historiques avec sa version du roman éponyme de Bram Stoker pour Bram Stoker’s Dracula, une énième adaptation certes mais surtout celle qui s’avèrera définitive. 
 
Le prologue relie le personnage fictif au personnage historique. 
Le véritable prince Vlad de Valachie dit Țepeș (« l’empaleur ») ou Drăculea (« le fils du dragon »), bien qu’il n’ait jamais été une base majeure du livre dont il n’a servi que de prête-nom, est mis en scène dans son combat contre les soldats de l’empire Ottoman. Il y est décrit comme le sadique de la vraie histoire : un bon et fervent Catholique repoussant les Turcs par son courage et sa cruauté. 

Mais surtout Coppola ajoute une explication sur les origines du vampirisme qui ne figure pas dans le roman. Dans la chapelle de son château, Vlad Dracul, en proie à une violente colère après avoir perdu sa bien aimée Elizabeth, renie Dieu et plante son épée dans un crucifix, provoquant un jaillissement de sang depuis la croix, dans la cire des bougies ou dans les larmes des statues chrétiennes. 
 
Accompagné par la magnifique musique de Wojciech Kilar, ce film visuellement splendide est tenu par un solide casting de stars (outre Gary Oldman offrant son inoubliable version de Dracula et Winona Ryder en Elizabeth/Mina, Anthony Hopkins dépoussière le rôle du chasseur de vampires Van Helsing, un Tom Waits extraordinaire de dinguerie reprend le rôle de Renfield, et notons une apparition remarquée de Monica Bellucci dans le rôle dune des concubines du conte). 
 
Pillant de façon ludique les multiples versions avouées ou inavouées du roman au cinéma, Bram Stoker’s Dracula retranscrit la même atmosphère surannée via la nostalgie des décors en studio, le maquillage de Gary Oldman et les effets spéciaux artisanaux à l’ancienne. 
 
Et bien sûr, à travers cette multiplicité des références visuelles, son utilisation des filtres, le choix de maquettes et trucages démodés comme le matte-painting, les jeux d’ombres et lumières, les effets d’optique à la Méliès et effets de « vieux film », ou évidemment le rappel de l’invention du cinématographe avec la scène des premières projections publiques et spectacles en ombres chinoises, c’est bien sûr à l’ensemble du 7e Art que Francis Ford Coppola rend hommage à travers ce film.
 

   
Dans le sympathique mais non indispensable Innocent Blood (1992), John Landis s’amuse à mélanger horreur et comédie noire comme il le faisait avec Le Loup-garou de Londres (An American Werewolf in London, 1981), avec cependant beaucoup moins d’inspiration.
La française Anne Parillaud y incarne une jeune vampiresse vivant à Pittsburgh, apparaît dès sa première scène en nu intégral face à ses fenêtres donnant sur la ville, et se nourrit exclusivement du sang des membres de la Mafia locale, pour laquelle Robert Loggia ou Chazz Palminteri ramènent leurs éternelles trognes de truands.

Le cinéaste est habitué à faire appel à ses amis pour de savoureux caméos et offre ici quelques petits rôles à des réalisateurs (Dario Argento, Sam Raimi, Michael Ritchie ou son fidèle ami Frank Oz), ainsi qu’à la « scream queen » Linnea Quigley du Retour des morts-vivants dans une scène « hurlante » à limage de celles qui l’ont rendue célèbre. Nous remarquerons aussi de nombreuses références cinéphiles dont il est friand, notamment par le biais de téléviseurs diffusant la fin du Cauchemar de Dracula ou la scène d’apparition d’Alfred Hitchcock dans L’Inconnu du Nord Express.
 
Toujours en 1992, un teen-movie d’horreur parodique mais à l’humour gênant raconte les aventures d’une pom-pom-girl blonde et populaire dans son lycée, nommée Buffy, aimant les leggings roses et faire du shopping avec ses copines poufs (dont une jeune Hilary Swank).

Lorsqu’elle se trouve à proximité d’un vampire, cela provoque chez elle des menstruations embarrassantes, soudaines et douloureuses, l’avertissant du danger. Buffy est ainsi choisie par le destin pour combattre un maître-vampire, Lothos, joué par un Rutger Hauer en pleine traversée du désert.
 
Buffy, tueuse de vampires (Buffy the Vampire Slayer) est aussi affligeant que mon petit résumé peut le laisser imaginer, et reste très méconnu par rapport à la cultissime série TV qui en découlera cinq ans plus tard avec Sarah Michelle Gellar et Alyson Hannigan, Buffy contre les vampires, grand classique de la télévision pour ados des années 90. 
 

Pour revenir aux sources du mythe de façon nettement plus réussie et somptueuse, citons bien sûr Entretien avec un vampire (Interview With the Vampire, 1994), adapté du best-seller d’Ann Rice par elle-même, et réalisé par Neil Jordan.
 
Le cinéaste irlandais bénéficie d’un budget très confortable et d’un casting de jeunes stars montantes comme Tom Cruise, Brad Pitt, Christian Slater et certaines têtes encore inconnues du grand public comme Antonio Banderas ou la très jeune Kirsten Dunst. 

Lestat et Louis, les vampires du film, partagent des sentiments humains comme le Dracula de Coppola. C’est le début de l’humanisation du vampire, l’éloignant de son rôle de monstre criminel sans état d’âme. Ce sera dorénavant un des critères du buveur de sang à partir des années 90, trouvant son apothéose dans les années 2000 avec le gentil vampire romantique et naïf de l’insignifiante saga Twilight, mais nous y reviendrons (hélas). 

La réussite de ce film envoûtant tient à la fois dans les effets spéciaux discrets, prothèses et autres maquillages réalisés par un des maîtres du genre, Stan Winston, mais aussi et surtout dans sa reconstitution de la Nouvelle Orléans du XVIIIe ou du Paris de la Belle Époque, avec les fabuleux décors de Dante Ferretti (chef décorateur de nombreux films signés Fellini, Scorsese ou Ettore Scola), le tout emballé par la bande originale d’Elliot Goldenthal.  
Seul bémol, Rice (également scénariste) et Jordan ont beaucoup élagué dans le background des héros, rendant les personnages relativement creux et atténuant leur complexité.
 

L’année suivante sortent deux films très différents lun de lautre. D’abord le dernier film de Mel Brooks, Dracula mort et heureux de l’être (Dracula: Dead and Loving It, 1995), parodie des productions Hammer et des adaptations avec Bela Lugosi. L’autre, fauché et quasi-expérimental, The Addiction de l’imprévisible (et inégal) Abel Ferrara. 

Filmé en noir et blanc et tourné en seulement vingt jours, il aborde le vampirisme d’un point de vue plus social et politique, centré sur les errances de Kathleen (Lili Taylor), étudiante new-yorkaise en philosophie, mordue dans une ruelle par une femme vampire. Développant peu à peu les symptômes, elle devient vampire à son tour et sème la mort sur son passage dans un décor citadin et décadent.

Alors qu’il vient de connaître peu de temps auparavant un succès planétaire et une consécration cannoise avec Pulp Fiction (1994), Quentin Tarantino sort de ses tiroirs un vieux script écrit à l’époque où il travaillait encore dans un vidéoclub, pour en laisser la réalisation à son grand ami, Robert Rodriguez.  
 
Une Nuit en enfer (From Dusk Till Dawn) démarre comme un road movie de gangsters tarantinesques, dans lequel les frères Gecko (George Clooney et Tarantino) prennent en otage la famille Fuller (Harvey Keitel, Juliette Lewis et Ernest Liu), les forçant à les aider à passer au Mexique. Une fois de l’autre côté de la frontière, ils se retrouvent dans un bordel mexicain denfer pour routiers, le Titty Twister, lieu qui se révèlera au cours de la soirée être un authentique pandémonium tenu par des vampires et autres créatures démoniaques…  
 
Tarantino produira également les suites, Une Nuit en enfer 2 : Le Prix du sang (From Dusk Till Dawn 2: Texas Blood Money, 1999) de Scott Spiegel, et Une Nuit en enfer 3 : La Fille du bourreau (From Dusk Till Dawn 3: The Hangman’s Daughter, 2000) de P.J. Pesce, toutes deux loin du niveau du premier volet qui, sans être indispensable, est sympa pour une soirée potes et bières…
 

À travers The Thing version 1982, remake réussi – et joserais même dire meilleur que l’original – de La Chose d’un autre monde (The Thing from Another World, 1951) de Christian Nyby et Howard Hawks, dans lequel une équipe scientifique basée en Antarctique se retrouvait attaquée par une insaisissable créature métamorphe, John Carpenter montrait déjà son intérêt pour la contamination et les monstres transformant à leur contact un individu en un de leurs semblables et pouvant, à son tour, en contaminer dautres, et ainsi de suite. 

Du danger de la contamination par un extra-terrestre à celle d’un vampire, il n’y a qu’un petit pas à franchir que Carpenter fera en 1998 avec le sobrement nommé Vampires (ou plus exactement John Carpenter's Vampires).
  

James Woods est Jack Crow, nettoyeur de vampires à la solde du Vatican. 
Avec son petit groupe de mercenaires, il avance au ralenti vers la caméra, suintant la classe dans sa veste en cuir, ses lunettes de soleil et son arbalète à vampires soigneusement préparée, sur un fond musical rock signé par le cinéaste. 
Dès ce plan au début du film, laffiche est déjà toute trouvée.
 
Lui et sa bande défoncent les portes de lieux où se cachent les non-morts, et les exterminent un à un, en les empalant au harpon ou en les exp(l)osant à la lumière du jour, dans un carnage sanglant et récréatif. 
Mais Valek (Thomas Ian Griffith), puissant maître-vampire, échappe à leur vigilance et ne tarde pas dès la nuit venue à venger les siens, massacrant à son tour les chasseurs dans leur motel. Crow, Montoya (Daniel Baldwin) et une prostituée (Sheryl Lee, la Laura Palmer de Twin Peaks) arrivent à lui échapper… 

Bien que non dénuée de défauts, cette sympathique série B reste divertissante et permet à son cinéaste de se rapprocher davantage du western (genre qui hante tous ses films), la sobriété du décor désertique au Nouveau-Mexique allant jusqu’à reproduire l’ambiance et l’imagerie de fin de siècle au Far West.


Les années 2000 voient débarquer un comte des Carpates comme nous l’avons rarement vu aussi peu convaincant.  
 
Dracula 2001 (parce qu’il est sorti en 2001 en France, sinon le titre original est Dracula 2000), du canadien Patrick Lussier, reprend la trame archi-rabâchée du vampire sommeillant pendant un siècle dans sa crypte où Van Helsing (Christopher Plummer) était parvenu à l’enfermer, et réveillé par une bande d’abrutis cambrioleurs. Il connaîtra deux suites sorties en « direct to video » à savoir Dracula II: Ascension en 2003 et Dracula III: Legacy en 2005. 

  
Voici hélas la couleur que va prendre le vampire du XXIe Siècle où jamais le comte Dracula n’aura été aussi mal interprété, par des comédiens plus fades les uns que les autres, et avec un manque de charisme évident, comme Richard Roxburgh dans Van Helsing (2004) de Stephen Sommers. 

Ici, l’illustre docteur du titre interprété par Hugh Jackman se bat contre une bonne partie des créatures mythiques, idée que nous retrouvons dans l’interminable saga Underworld lancée en 2003 par Len Wiseman, où Kate Beckinsale, également présente dans Van Helsing où elle forme un duo avec le docteur façon Chapeau melon et bottes de cuir, revient cette fois en femme-vampire s’opposer aux Lycans, peuple de loups-garous hostiles à sa communauté (à ce jour cinq films, un sixième en préparation). 


En 2004, Blade Trinity de David Goyer conclue la trilogie des aventures d’un Afro-Américain mi-homme mi-vampire incarné par Wesley Snipes, qui traque les vampires et les extermine dans le seul but de venger sa mère, mordue peu avant son accouchement. Dans ce dernier opus, il vient pour affronter et anéantir le fameux comte Dracula, dit « Drake » pour les intimes. Je pense que je n’ai pas besoin d’en dire plus.


Cela nous amène à la cerise sur le gâteau : le succès planétaire en 2009 du premier opus de Twilight, adaptation filmique d’un succès de librairie pour adolescentes.  

Tel un jeune initié en sciences occultes explorant avec appréhension les arcanes les plus ésotériques de notre univers, décidé à s’aventurer sur des territoires inconnus même les plus hostiles, votre serviteur a poussé ses recherches jusqu’à regarder cette saga. Intégralement. Je dois tout de même avouer que les deux derniers épisodes ont été passés en accéléré parce que... parce que 'faut pas déconner. Bien sûr je pourrais éviter d’y aller par quatre chemins en disant ce que tout le monde sait déjà, à savoir que c’est de la merde, mais je vais tout de même en dire quelques mots. 
 
Avec Twilight, la mythologie vampirique est massacrée pour laisser place à un recyclage du complexe de l’amour impossible entre deux personnes que tout oppose, exceptée une attirance physique irrésistible, et zéro volonté de faire une relecture intéressante du mythe.

 
Cette consternante série de cinq films, longs et aussi beaux qu’un clip d’Evanescence, est centré sur les personnages de Bella Swan (Kristen Stewart), jeune ado vierge de dix-sept ans, et Edward Cullen (Robert Pattinson), mannequin à peau blême et coupe choucroutée, vierge également, bien sûr, et qui a lui aussi dix-sept ans. Enfin pas exactement puisque, en tant que vampire – mais un vampire gentil, qui ne boit que du sang animal (ou alors celui des méchants criminels du siècle dernier) – il a dix-sept ans depuis cent ans. 

Toutefois la volonté de l’auteur des livres, de confession mormone, est de ne jamais aller à l’encontre de ses principes religieux absurdes et rigoristes, évitant toute référence explicite à la sexualité (surtout avant mariage). 
 
Alors nous dirons qu’au–delà de ses capacités de surhomme et des nombreuses années passées à survivre et redoubler ses classes (dans des écoles différentes, tout de même), Edward est donc, mentalement, resté au stade d’un jeune homme de dix-sept ans. Ce qui arrange bien les choses.


Les scénarios des cinq films tiennent en un seul paragraphe : Bella arrive dans un nouveau lycée, rencontre le beau Edward qui lui avoue qu’il est un vampire et ils tombent amoureux. Dans le second, Edward étant très, très amoureux, il ne souhaite pas la damner pour l’éternité en la convertissant en vampiresse, alors il la quitte. Bella ne s’en remet pas, elle pleure, hurle dans sa chambre et se rapproche de Jacob, un autre beau gosse aux abdos d’acier et sourire ultra-bright, qui en dehors du lycée est un loup-garou. Heureusement Edward change d’avis et revient à la fin. Dans le troisième, Bella étant toujours humaine, sa vie est menacée par des vampires rivaux. Mais aidée par la famille vampire d’Edward et avec l’appui des loups-garous (dont Jacob), les gentils finissent par gagner. Dans le quatrième, c’est le mariage de Bella et Edward. Elle tombe enceinte de son vampire de mari, ce qui menace sa propre vie, le bébé étant lui-même un vampire. Pour la sauver, Edward lui transmet son virus après la naissance de leur fille. Et enfin dans le cinquième, après quelques péripéties ineptes (dont une vision de bataille entre vampires qui n’aura finalement jamais lieu), les jeunes parents vampires s’aiment et continueront à s’aimer pour léternité. Fin.

Voilà le succès vampirique de librairie et de cinéma des années 2000 et 2010. Des histoires consternantes faites d’incohérences, de caricatures et de banalité, avec filtres, ralentis ou accélérés clipesques, et j’en passe. Oui, passons.


Forcément, la mode va évoluer en conséquence, et les producteurs souhaitant surfer sur ce succès vont donc chercher à recréer des projets de sagas vampiriques similaires. Ce sera le cas avec le catastrophique Vampire Academy (2014), premier volet d’une série de films pour teenagers aux goûts discutables, films qui ne verront jamais le jour au final, la faute à un cuisant échec critique et public dès le premier film. 
Pas démotivés pour autant, les producteurs lanceront une campagne de financement participatif sur Internet afin de lancer la production d’au moins une suite du premier film. Très loin de récolter la somme demandée, les producteurs finissent par abandonner leur projet. Ouf. 
 

Beaucoup plus intéressant est l’approche nordique, avec Morse (Låt den rätte komma in, 2008). Le suédois Tomas Alfredson, futur réalisateur de La Taupe (2011), propose ici un film lent, atmosphérique, jouant sur l’androgynie d’un enfant-vampire castré de douze ans, Eli, qui va venir troubler la monotonie d’une ville en banlieue de Stockholm. Un jeune voisin, Oskar, garçon du même âge, victime de brimades à l’école, la remarque et une amitié ne tarde pas à naître entre les deux personnages. Le film connaîtra un remake aux États-Unis en 2010, Laisse-moi entrer (Let Me In), quasi identique mais avec des comédiens américains. Le film contraste précisément avec tous les clichés romantiques, montage épileptique et autres effets débiles de Twilight.

Les années 2010 sont surtout marquées par l’avènement des séries, et le vampire s’est naturellement retrouvé lui aussi sur nos petits écrans de télévisions (ou de portables), éparpillé dans quelques productions inégales comme Penny Dreadful avec Eva Green, True Blood où les vampires se décident à vivre sans se cacher et à coexister avec les humains, Van Helsing, s’intéressant en fait à l’arrière-arrière-petite-fille d’Abraham Van Helsing, « Van » devenant le diminutif de Vanessa, ressuscitée par des survivants dans un monde dirigé par les vampires, ou encore une série de NBC diffusée entre 2013 et 2014 et nommée tout simplement Dracula, racontant une nouvelle variation de lhistoire avec non plus un comte mais un homme d’affaires américain en guise de vampire, sous les traits de Jonathan Rhys-Meyers. Jugée ennuyeuse et ne connaissant quun succès très moyen, la série sarrête au bout de dix épisodes.


Dracula revient aussi au cinéma, dans Dracula 3D (Dario Argento’s Dracula, 2012). L’ancien maître du giallo a connu des jours meilleurs et signe ici un énième navet, aux relents de nanar, dans une carrière qui a tourné au suicide artistique. Dans cette œuvre improbable, bâclée, rendue moche par des filtres et effets visuels pourtant impensables de nos jours, le comte y apparaît sous les traits d’un Thomas Kretschmann en totale roue libre et forcément n’amène rien de neuf. 
 
La mode est aux super-héros du style Batman et Avengers
Ainsi, dans Dracula Untold (2014) de Gary Shore, où le rapprochement entre Vlad Țepeș et Dracula qui faisait le prologue du film de Coppola devient le sujet-même du film, le comte devient un surhomme invincible, voulant protéger sa famille, anéantissant ses ennemis à travers un grand nombre de scènes de batailles qui semblent volées au 300 de Zack Snyder


Incarnation métaphorique autant de notre fascination que de nos angoisses de la maladie, de la nuit et du sang, le vampire a plus d’un tour sous sa cape de soie noire et rouge. Et parmi ces tours, n’a-t-il pas la fâcheuse habitude de quitter l’Enfer dans lequel Van Helsing l’envoie et de réintégrer sa crypte afin de se régénérer ? C’est ainsi qu’à travers des siècles, des générations et ses multiples métamorphoses, sa popularité a perduré.
 
S’il lui arrive des périodes de disette où il sombre dans loubli pendant quelques années, c’est pour mieux resurgir de son cercueil capitonné et revenir troubler les vivants de ses coups de sang. Mais le net affadissement du mythe depuis une vingtaine d’années, dilué aujourd’hui à travers un nombre de plus en plus considérable d’œuvres cinématographiques, littéraires ou télévisuelles de qualité médiocre, marque-t-il la fin de son heure de gloire artistique ? 

Si nous avons de la veine, la prochaine fois qu’il quittera le tombeau où il passe de longues journées de sommeil forcé, ce sera peut-être (espérons-le) pour se lancer dans de nouvelles expéditions macabres dignes de ce nom, plus mémorables que les dernières. Son but actuellement est d’arracher le cinéma d’épouvante à son hibernation prolongée dès la prochaine tombée de la nuit où, ivre d’excitation, la cape ondulant dans le vent comme les ailes d’une chauve-souris, il lancera son rire démoniaque à la face de ceux qui oseront le défier, conforté par son instinct aiguisé de plusieurs siècles de survie. En fait, aujourdhui le vrai miracle serait de parvenir à nous faire oublier ses derniers ersatz grotesques et autres disciples insipides

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