25 mai 2016

Le Dos au mur / Des femmes disparaissent / Un Témoin dans la ville

Les débuts de Molinaro m'évoquent ce que disait Truffaut sur les jeunes cinéastes : les films de jeunesse, selon lui, sont les plus intéressants et audacieux (c'était peut-être davantage une pique de plus envers son cher ennemi, Michelangelo Antonioni, qui a démarré sa carrière à quarante ans, qu'une vraie théorie, mais cela dit elle se vérifie souvent), et principalement les trois premiers films d'un réalisateur, qu'il jugeait "inestimables". S'il citait Godard pour À Bout de souffle (1959), "film qu'on ne ferait pas à quarante ans", ou regrettait que Resnais n'ait pas démarré sa carrière plus tôt, même s'il trouvait Hiroshima mon amour (1962) formidable, il est évident qu'il pensait aussi à Molinaro. Et en fait à tous ses amis. Du moins, la filmographie de Molinaro s'inscrit tout à fait dans la théorie de Truffaut, tant je trouve que rien ne surpassera ou égalera la réussite artistique du Dos au mur, Des Femmes disparaissent et Un Témoin dans la ville. Bien sûr, je suis loin de prendre de haut le genre comique et ne tirerai pas à boulets rouges sur ses comédies (dont au moins une est devenue culte), mais vraiment aucun autre de ses films n'arrive à la cheville des trois premiers, tant du point de vue de la façon de raconter que plastiquement...
 
 Le Dos au mur (1957)

Nous sommes à la fin des années cinquante. À Bout de souffle n'est pas encore sorti, et Édouard Molinaro, 29 ans, passionné de films noirs, réalise son premier film (noir, justement) adapté de Délivrez-nous du mal de Frédéric Dard, lequel participe également au scénario. Comme Kiss Me Deadly d'Aldrich deux ans plus tôt, Le Dos au mur démarre sur une route, éclairée par la lumière blafarde des phares, défilant avec les crédits du générique. Et comme Aldrich, Molinaro choisit de faire un générique sans musique. Tout le début est même quasiment muet. Il est en effet très intéressant de voir comment Molinaro arrive à créer l'empathie pour son personnage principal, Jacques Decrey (Gérard Oury) via quelques gimmicks hitchcockiens (transporter un cadavre enroulé dans un tapis en pleine nuit dans une rue déserte et sans se faire remarquer). Le spectateur s'inquiètera de manière intuitive pour lui en ne sachant absolument rien de lui, ni du cadavre encombrant, et encore moins du pourquoi de cette situation. La voix off ne démarrera pas avant que ne soit achevé le premier quart d'heure du film. L'efficacité de cette séquence repose sur l'audace visuelle d'une part (on y reviendra) et surtout sonore. La bande son est quasiment constituée que d'effets sonores et de bruitages de la vie courante. Moteur de voiture, passant qui siffle, rasoir resté branché dans la salle de bains, téléphone qui sonne, une télévision à travers les murs diffusant le bulletin d'informations, le tic tac d'une pendule, etc. Ce début quasi muet capte aussitôt l'attention du spectateur, qui voudra automatiquement chercher à comprendre, s'inventant sa propre histoire sur une fausse piste avant de pouvoir décrypter les tenants et aboutissants, l'histoire d'amour tragique et la machination imaginée par Decrey...
 
 
Flash-back. On découvre que Jacques Decrey est le mari de Gloria (Jeanne Moreau). Elle a un amant, Yves (Philippe Nicaud), comédien au chômage. Jacques le découvre et entreprend de faire chanter sa femme avec l'aide d'un détective privé un peu gauche (Jean Lefebvre) qui prendra les photos compromettantes...
L'histoire de Frédéric Dard, aussi efficace et bien construite soit-elle, reste simpliste et très commune au monde du polar. Elle est surtout prétexte à une stylisation, une adaptation esthétique splendide et là-dessus, Molinaro n'a pas raté son coup. En effet, difficile de ne pas parler du travail sur la mise en images et la photographie de Robert Lefebvre qui emprunte quelques "hitchcockismes". Je pense notamment aux plans de téléphone, l'outil indispensable pour les amants de communiquer au risque de se faire surprendre, comme pour le réalisateur qui créé le suspens autour de cet appareil :


Dès le début du film d'ailleurs, on comprend assez vite que c'est un élément important, quand retentiront plusieurs sonneries dans l'appartement d'Yves, étendu mort pendant que Decrey camoufle le meurtre, et que la mise en scène utilise admirablement l'espace, la perspective, avec des cadrages en contre-plongée et ce fameux grand angle pour créer le sentiment d'une menace latente dès que l'appareil apparaît. Hitchock, mais aussi Welles, sont des références qui apparaissent évidentes quand on repense à certaines scènes. Molinaro n'hésite pas à réintégrer certains éléments issus du film noir wellesien, et l'ombre du cinéaste de Touch Of Evil semble imprégner certains plans, dans la direction d'acteurs, en plans fixes ou dans les mouvements de caméra, ou leur placement dans le cadre, avec un jeu sur le premier et second plan et un travail sur l'utilisation de la lumière vraiment séduisant...


Certes, le film n'est pas parfait, quelque peu inégal et avec les défauts des premiers films, mais il demeure un polar efficace, surprenant, bourré d'idées de mise en scène, et donc parfait pour démarrer une incursion dans la filmo "noire" de Molinaro. Le Dos au mur ne souffre à mon goût que d'un seul gros défaut : le manque de charisme de son interprète principal. L'interprétation de Gérard Oury s'avère fade en mari cocu et maître-chanteur, et le futur cinéaste de la comédie française était un acteur vraiment inexpressif. Pas bien bien grave cependant, car niveau interprétations Jeanne Moreau remonte largement le niveau (la même année elle arpente Paris sur les notes de Miles Davis dans un autre film noir signé Louis Malle, l'inoubliable Ascenseur pour l'échafaud)...
 
Des femmes disparaissent (1959)

Ancien journaliste et intellectuel collaborationniste pendant l'Occupation (et qui fera de la prison à la Libération), spécialiste du verbe et de l'argot vieux Paris qu'il compilera dans un glossaire argotique, Albert Simonin est déjà un célèbre romancier en 1959, adapté au cinéma (souvent par lui-même au scénario et aux dialogues) et qui compte dans le panthéon littéraire de Molinaro. Le succès de librairie de son premier roman le lave de son passé et deviendra un film culte devant la caméra de Jacques Becker en 1954. Touchez pas au grisbi est aussi le premier opus d'une trilogie sur "Max le menteur" qui sera ensuite adaptée par Gilles Grangier en 1961 pour Le Cave se rebiffe (où le personnage de Max disparaît), et Georges Lautner en 1963 pour Les Tontons flingueurs (où Max devient Fernand) d'après Grisbi or not grisbi... Molinaro de son côté, supporte une critique mitigée à la sortie du Dos au mur, trouvant en lui un cinéaste techniquement bon mais qui n'a rien à dire, et assiste à un succès commercial modeste, pour dire ça poliment. Il tente d'enchaîner sur une adaptation des Demi-vierges d'après le roman de Prévost, avec Brigitte Bardot en tête pour le rôle principal, mais le projet est abandonné après le refus de l'actrice. On lui propose alors d'adapter Des femmes disparaissent, sur un scénario écrit par Simonin avec Gilles Morris-Dumoulin (l'auteur du roman d'origine). Molinaro saute naturellement sur l'occasion. Malheureusement, ses attentes sont loin d'être comblées. N'allons pas jusqu'à dire que le script lui tombe des mains, toutefois cette histoire sur la traite des Blanches sur fond de polar ne l'emballe pas beaucoup (voire pas du tout). Il juge le scénario très faible et l'histoire superficielle. Mais le score médiocre du Dos au mur au box-office, qui l'oblige plus ou moins à accepter le premier projet venu, et sa rencontre avec Simonin et les acteurs du film (Robert Hossein, Philippe Clay, Estalla Blain ou Magali Noël), ainsi que l'espoir de combler les "faiblesses" du script par une certaine stylisation visuelle, le boostent suffisamment pour réaliser Des femmes disparaissent...


À Marseille, alors qu'il retourne chez lui, dans l'immeuble où vit également sa fiancée Béatrice (Estella Blain), Pierre (Robert Hossein) la surprend partant en catimini pour se rendre à une mystérieuse soirée. Il remarque aussi l'étrange voiture qui la suit, avec à son bord Tom (Philippe Clay) et Nasol (Pierre Collet), hommes de mains de Victor Quaglio (Jacques Dacqmine), caïd et trafiquant de femmes qui prépare un nouvel enlèvement...
Le film démarre par un texte introductif un peu naïf de l'avocat Henry Torrès, où néanmoins le ton du film est donné : la volonté de départ n'est pas de "farder la vérité" mais de proposer ainsi une vision réaliste, bien que romancée, du sordide trafic de Blanches. Et c'est bien ce qui frappera le plus à la vision du film. C'est sec, violent, et parfois assez osé pour l'époque. Véritable défilé de décolletés plongeant et même de scènes relativement crues, comme la souvent évoquée flagellation torse nu de Magali Noël, le film amène à parler d'un sujet intéressant concernant le film noir français et la place de la femme dans le genre. Les femmes du titre ne sont en fait qu'un prétexte à raconter, avant tout, une histoire d'hommes, chère à Albert Simonin. À l'opposé de la figure emblématique de la "femme fatale" américaine, le cinéma français exploite surtout un personnage féminin au caractère niais, toujours un peu garce et souvent cruche. Certes, Le Dos au mur présentait un personnage de femme adultère, mais elle demeurait un personnage consistant (aidé par l'interprétation de Jeanne Moreau) et le plus attachant du film. Nul doute que l'aspect plus ou moins misogyne (bien que sauvé par le personnage de Magali Noël dans sa quête de rédemption) a un peu joué dans l'hostilité de Molinaro à l'égard de Des femmes disparaissent.


Revenons justement sur le cas assez particulier de Molinaro, qui ne correspond en rien aux critères qu'on imaginerait chez un réalisateur de cinéma. Plutôt timide et gauche dans la vie, il a un manque d'autorité, une nature aimable et répugne à dépasser un nombre trop élevé de prises ou à contraindre ses acteurs, avec lesquels il préfère la diplomatie. Beaucoup ne prennent pas ce débutant très au sérieux. Les comédiens qui ont un réel besoin, nécessaire, d'affronter ou d'accepter une autorité persuasive pour les diriger et les obliger ainsi à donner le meilleur d'eux-mêmes, n'hésiteront pas à le lui faire savoir à l'avenir (certaines colères de stars qu'il se prendra dans la gueule deviendront cultes, avec De Funès, Delon sur le tournage de L'Homme pressé, Tognazzi...). Pire encore, il se trouve amateur et juge ne pas mériter sa place de metteur en scène, ce qui l'effraie depuis Le Dos au mur. Bref, c'est un réalisateur à l'aise ni dans son métier, ni avec le scénario qu'il s'apprête à tourner, qui se lance sur son second film. Il doit par ailleurs diriger Robert Hossein, un habitué du film noir en tant qu'acteur (Du rififi chez les hommes ou Série noire) comme en tant que réalisateur (Les salauds vont en enfer ou Pardonnez nos offenses), mais qui déteste les activités physiques "dangereuses", alors que son rôle exige qu'il se batte à plusieurs reprises et fasse quelques cascades... Vu comme ça, on aurait pu légitimement craindre le pire pour Des femmes disparaissent, heureusement la vision du film évapore n'importe quel doute, et la bénie "magie du cinéma" opérant évacue toute genèse mouvementée pour n'en garder que le résultat final : un film noir efficace à l'atmosphère sombre.
 

Comme Becker ou Melville, Molinaro emprunte aussi des codes et motifs et affirmer une certaine proximité avec le film noir américain, dans l'apparence vestimentaire, la caractérisation ou les objets que possèdent les personnages. La bande de truands chargée d'enlever les jeunes femmes rapproche Des femmes disparaissent de la tradition communautaire du film de gangsters : une micro-société où les rapports sont régis par une hiérarchie que l'on craint, en l'occurrence Victor Quaglio, un leader jouissant d'un statut financier confortable et aux nombreux signes ostentatoires de richesse. Propriétaire d'une villa où il organise la soirée d'enlèvement, il n'hésitera pas à sacrifier ceux un peu trop maladroits (via son implacable et sarcastique tueur à gages Tom) et fera angoisser ceux qui osent arriver en retard à leur réunion. La fortune les sert pour mener à bien leur forfait, les caïds devant symboliser une réussite sociale respectable afin de séduire les jeunes femmes. On se retrouve donc entre gangsters impeccablement rasés, coiffés et sapés, en costard-cravate chic (à l'opposé du héros présenté d'emblée comme une sorte de jeune loubard, crasseux à force de mordre la poussière et de se prendre des roustes), et bien sûr on roule en bagnole américaine. "La première livrée en France" dira Coraline (épouse d'un des truands, mais d'abord associée de Victor comme il le rappellera, et qui est chargée d'amener les futures victimes dans le véhicule de son mari), autrement dit le haut de gamme dans la France des années cinquante.
 

Jacques Dacqmine incarne correctement le rôle du dangereux caïd, mais c'est surtout intéressant de voir comment Molinaro lui donne toute sa force par le biais de sa mise en scène. Si son amateurisme critiqué par certains lui pose quelques problèmes, le cinéaste peut compter sur un allié important depuis Le Dos au mur pour lui donner de la crédibilité : le découpage technique détaillé, précis et sophistiqué qu'il se met en tête de suivre à la virgule. Devant Des femmes disparaissent, on peut voir de nouveau comment le jeune cinéaste a digéré la grande histoire du film noir qui le précède, ses influences des grands Maîtres, de Lang à Huston, en passant par Dassin et surtout Orson Welles. Le cinéaste choisit de positionner sa caméra au ras du sol, l'enterrant même, pour obtenir des plans avec des comédiens filmés sur fond de plafond, les plaçant en dominateurs et ainsi multiplier l'impression de puissance chez eux.
 

Molinaro s'essaie même par deux fois au split-focus (cette technique optique, qui sera chère à De Palma, consistant à fixer une lentille coupée en deux à l'objectif de la caméra, et permettant d'obtenir une mise au point à la fois sur un élément près, et sur un autre plus éloigné de la caméra) :
 

L'utilisation des travellings ou des zooms viennent compléter les arguments artistiques d'un film meilleur que n'en dira Molinaro, qui l'a toujours considéré comme un simple roman de gare travesti en thriller, et un film soi-disant oubliable. L'histoire de Morris-Dumoulin et Simonin propose tout de même des rebondissements palpitants, d'excellents dialogues signés Simonin, une splendide photographie nocturne de Robert Juillard, et une pléiade de comédiens inspirés et qui n'hésitent pas à se montrer énergiques dans les scènes d'action. Au rayon des bonnes surprises, il est évidemment impossible de ne pas citer l'interprétation savoureuse de Philippe Clay dans le rôle de Tom, le tueur faisant simplement son boulot comme il le dit, mâchouillant continuellement du chewing-gum. De plus, il se paie les meilleures répliques du film et vole logiquement la vedette à un Robert Hossein sobre et parfois un peu trop effacé, mais je chipote. Il faut aussi noter la bande-son jazzy signée par Art Blakey et les Jazz Messengers, qui ont improvisé sur les images du film (Molinaro en parle dans ce court interview).
 
Un Témoin dans la ville (1959)

À l'aube des années cinquante, un duo d'écrivains entreprend de révolutionner le roman policier en accordant une place importante à la psychologie des personnages. Boileau-Narcejac, alias Pierre Louis Boileau et Pierre Ayraud dit Thomas Narcejac, ont déjà publié de nombreux et passionnants romans, dont deux ont fait l'objet d'adaptations, disons, remarquées au cinéma. Euphémisme. L'une est de Clouzot et s'appelle Les Diaboliques (1955), et l'autre d'Hitchcock, Vertigo d'après D'entre les morts (1958). Bref, déjà en 1959 on n'a plus besoin de les présenter... Pour Molinaro, hélas, les ennuis ne se terminent pas. Comme pour Le Dos au mur, Des femmes disparaissent ne rencontre pas le succès escompté et convainc (injustement) son réalisateur que cette histoire de polar autour de la traite des Blanches n'en valait vraiment pas la peine. Sa carrière aurait pu prendre un tour désastreux s'il n'avait pas rencontré les bons producteurs au moment où il le fallait (François Chavanne pour Le Dos au mur ou la famille Roitfeld pour Des femmes disparaissent). Malgré l'échec commercial de ses deux premiers films, Alain Poiré et Henry Deutschmeister voient en lui un jeune cinéaste talentueux à présent (Poiré, déjà co-producteur du Dos au mur, ne croyait pas en lui à l'époque), le perçoivent comme un jeune Decoin ou Grangier, et lui accordent toute leur confiance pour tourner Un Témoin dans la ville, sur un scénario de Boileau-Narcejac et Gérard Oury...


Pierre Verdier (Jacques Berthier) assassine sa maîtresse, Jeanne (Françoise Brion) en la jetant d'un train. Bénéficiant d'un non-lieu au bénéfice du doute, il est libéré. Ancelin (Lino Ventura), le mari de Jeanne, ne croit pas une seconde en son innocence, et il est bien décidé à se venger. Il s'introduit chez Verdier pendant son absence, l'attend patiemment et le tue en prenant soin de maquiller le meurtre en suicide. Mais en sortant de chez sa victime, il est aperçu par Lambert (Franco Fabrizzi), radio taxi qu'avait appelé Verdier. Ancelin a le temps de noter le numéro d'immatriculation du taxi, et cherche dorénavant à éliminer ce témoin par tous les moyens...
Sifflement de train, hurlements, meurtre... Le film commence d'emblée par cette scène d'assassinat, nous entraînant immédiatement dans le vif du sujet (et sans laisser de doute possible sur la culpabilité de Verdier, ambiguïté qui aurait pu être possible mais que les scénaristes ont évacué d'emblée). Lino Ventura a été remarqué par la profession dès son premier film (Touchez pas au grisbi), et l'acteur a déjà un certain sens du public... et du scénario. L'acteur est déjà très exigeant, ne laisse passer aucune faiblesse dans un script et peut s'avérer, n'allons pas par quatre chemins, véritablement casse-couilles aux yeux de certains réalisateurs. Il trouve des invraisemblances dans le script écrit par Boileau-Narcejac et Oury, et n'acceptera de tourner qu'une fois celles-ci corrigées.
Comme Des femmes disparaissent, l'histoire d'Un Témoin dans la ville se déroule en un laps de temps court (une nuit dans Des femmes disparaissent, deux et éventuellement un bout de journée dans Un Témoin dans la ville), en grande majorité en extérieurs et presque exclusivement de nuit. Aidée par la durée courte du film, l'histoire, riche en rebondissements et séquences inattendues, rendent Un Témoin dans la ville réellement captivant du début à la fin. Aucun dialogue n'est anodin, aucune scène ne sert de remplissage.


La photographie des films de Molinaro (successivement par Robert Lefebvre et Robert Juillard) a toujours été irréprochable et formellement audacieuse. Mais Molinaro va aller encore plus loin avec Un Témoin dans la ville en empruntant à Melville son fidèle directeur de la photographie qui avait fait ses premières armes chez lui, Henri Decaë. Sa filmographie est déjà impressionnante : Le Silence de la mer, Les Enfants terribles et Bob le flambeur (Melville), Ascenseur pour l'échafaud et Les Amants (Malle) ou Les Quatre Cents Coups (Truffaut). Le héros interprété par un Lino Ventura exceptionnel, se retrouve à l'instar d'un Johnny McQueen (James Mason dans Odd Man Out) pris dans un étau, au sein d'une ville rendue oppressante, kafkaïenne, cauchemardesque par Molinaro et Decaë, oscillant entre le réalisme poétique et l'expressionnisme flamboyant. À la présentation des personnages (une galerie de seconds rôles dont le quotidien nous est montré), richement documenté, s'ajoutent le sublime noir & blanc et jeu de lumières avec les ombres rampant sur les murs (comme dans le chef-d'œuvre de Carol Reed). L'aspect sec et énergique du film attrape immédiatement l'attention du spectateur. Le sens du découpage de Molinaro fera merveille bien entendu, notamment dans la longue et captivante séquence de poursuite finale, mais aussi dans une séquence de filature qui conduira Ancelin jusqu'au cœur du métro parisien à l'heure de pointe, séquence pendant laquelle il hésitera à se débarrasser de son témoin embarrassant. Je revoyais récemment Skyfall sur la BBC, que j'aime beaucoup, mais lorsque 007 se retrouve plongé dans le Tube, on ne ressent jamais l'impression que le méchant réussira à le semer, ni le moindre sentiment de foule oppressante malgré le nombre de figurants. Dans le film de Molinaro en revanche, on a vraiment la sensation qu'Ancelin risque de perdre Lambert de vue à plusieurs reprises, que tout peut arriver et en prime, on étouffe avec lui au milieu des souterrains où il bouscule passager après passager. Je pense sincèrement que cette superbe partie métropolitaine du Témoin dans la ville, rapide, dynamique et véritablement hitchcockienne, devrait être montrée et analysée dans les écoles de cinéma (et de monteurs).


Et encore une fois, on ne peut pas partir sans citer l'excellente partition jazz qui accompagne le film (la musique est quasiment la seule chose positive que Molinaro sauvegarde dans ses mémoires de ses trois premiers films), ici signée Kenny Dorham, Barney Wilen, Duke Jordan, Paul Rovere et Kenny Clarke. Un Témoin dans la ville complète à merveille un trio de polars à ne pas rater si on aime le genre. Trois premiers films, certes tous des commandes de producteurs qui ne voyaient en Molinaro qu'un "réalisateur de polars", mais tous réalisés très efficacement et qui demeureront, malgré lui, les meilleurs films de leur réalisateur. Le cinéaste a fini par les mésestimer en raison de leur échec commercial et dans ses mémoires déjà laconiques, il parlera de chacun des trois films que sur une page et demie à peine, avec le même enthousiasme qu'un malade énumérant son diagnostic médical. C'est bien dommage, car s'ils resteront en effet relativement méconnus du grand public, malgré la présence de vedettes comme Jeanne Moreau, Gérard Oury, Robert Hossein ou Lino Ventura, ce sont les films qui définissent le mieux son style visuel et le sens du montage rapide du cinéaste : haletant (on ne s'ennuie jamais), bien écrits et dialogués, modernes et toujours subliment photographiés. S'il fera de bons, voire de très bons films (notamment dans le genre comique) par la suite, films qu'il préfèrera d'ailleurs, aucun n'arrivera à la cheville du Dos au mur, Des Femmes disparaissent et surtout Un Témoin dans la ville.

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