Associé
à une grande variété de films et de cinéastes dont il est pour certains
indissociable, Philippe Sarde va et
repart d’un cinéma à l’autre, de Lautner à Téchiné et de Romy Schneider à
Bernard Menez. Dans une filmographie alternant la comédie populaire et le drame
intimiste, où le chef-d’œuvre côtoie le nanar le plus ringard, il a réussi l’exploit
de signer à chaque fois des compositions au moins dignes d’intérêt, sinon
remarquables voire exceptionnelles.
Comme
pour John Barry et Ennio Morricone, la tâche de faire un « top 15 Philippe Sarde » s’est
révélée difficile. Décortiquer une discographie aussi riche tout en essayant,
lorsque c’est possible, de voir ou revoir les films sur lesquels le compositeur
a travaillé, c’est trier l’intriable,
faire des choix opposant la raison aux sentiments, et le faire avec les regrets
habituels de ce genre d’exercice. J’aurais aimé insérer par exemple du Laurent
Heynemann, pas forcément dans le top mais au moins dans les mentions, notamment
Il faut tuer Birgitt Haas ou Faux et usage de faux, ou encore Noyade interdite de Granier-Deferre.
Hélas les copies de ces films sont de mauvaise qualité ou leurs bandes
originales simplement inexistantes dans le commerce.
Maintes
fois retardée et reportée, cette vidéo mi-top 15 mi-fiction est l’équivalent de plus d’une
quarantaine de petits montages successifs, et de 3 mois de boulot. Vous connaissez
peut-être déjà le principe : un top
15 + 15 mentions indispensables
avant la révélation finale, le tout
entremêlé d’appoggiatures sous forme d’interludes fictifs où, cette fois, la
caméra sort davantage de l’appartement pour suivre les déambulations de l’ensorcelante
Joëlle Berckmans. Bon visionnage et bonne écoute !
7 janvier 2019
Il y a 20 ans…
Il
y a 20 ans, j’allais finalement encore peu au cinéma et regardais surtout des
vieux films. J’étais surtout devenu un fan de Brian De Palma et j’avais décidé
de créer un site consacré au réalisateur sur le tout-neuf Internet (j’ignorais
encore où cela me mènerait). Revenons donc en…
1999
Il
y a 20 ans... Matrix(The Matrix), Tout sur ma mère(Todo sobre mi madre),
Dans la peau de John Malkovich(Being
John Malkovich), Toy Story 2, La Neuvième porte(The Ninth Gate), Fight
Club, Coup de foudre à Notting Hill(Notting
Hill), Wild Wild West, le James Bond Le monde ne
suffit pas (The World Is Not Enough), le second volet de la saga parodique Austin Powers, L’Espion qui m’a tirée (Austin Powers: The Spy Who Shagged Me),
ou Eyes Wide Shut sortaient au
cinéma (ou allaient sortir, puisque nous sommes en janvier).
En
France, Astérix et Obélix contre César
de Claude Zidi cassait la baraque au box-office, totalisant 8 944 457
entrées, tandis que la critique US s’enflammait avec American Beauty (Oscar du Meilleur Film
en 2000, année où il sortira chez nous).
Il
y a 20 ans, on s’était mis à croire à un avenir brillant pour Lana et Lilly Wachowski, qui s’appelaient encore Larry et Andy, car Matrix(The Matrix) devint l’immense phénomène planétaire que nous savons, créant la mode à
venir, et révolutionnant la science-fiction en innovant dans le domaine des effets
spéciaux.
Le Projet Blair
Witch
devenait l’un des films les plus rentables de l’Histoire, lançant la mode
des films "found footage" à moindre coût tout en inventant une
nouvelle approche du marketing avec Internet.
En mars, Érick Zonca remportait le César du meilleur film pour La Vie rêvée des anges, Patrice Chéreau recevait celui du meilleur réalisateur pour Ceux qui m’aiment prendront le train (1998), et en mai, les frères belges Luc et Jean-Pierre Dardenne recevaient la Palme d’or pour Rosetta.
Il
y a 20 ans, Pierce Brosnan était peut-être excellent dans la peau de l’agent 007, mais les films devenaient de pire en pire, notamment le sans intérêt The World Is Not Enough.
Il
y a 20 ans, Star Wars, épisode I : La Menace fantôme (Star Wars: Episode I –
The Phantom Menace) créait une perturbation dans la Force, Jar Jar Binks
faisait pleurer les amateurs de la saga originale, et en dépit de mauvaises
critiques et de l’immense déception des fans, le film de George Lucas devenait
numéro un au box-office US et battait des records de revenus.
À la
fin de l’année, nous avions pu découvrir le phénomène des lycéens (du moins
pour les amateurs d’humour potache) American Pie, qui allait connaître aussi un
succès sur le marché de la vidéo. Et puis nous avions pu assister à un tout
aussi dispensable affrontement entre Arnold Schwarzenegger, alors au creux de
la vague, et le Diable personnifié par Gabriel Byrne dans La Fin des temps (End
of Days), jouant, tel que le montrait l’affiche, sur l’inversion du nombre 999
de 1999, ce qui donne 666, évidemment.
Il
y a 20 ans, plusieurs acteurs démarraient tout juste leur carrière
cinématographique : Amy Adams avait
son premier rôle au cinéma dans Drop Dead
Gorgeous, Hugh Jackman dans Paperback Hero, James Franco dans Never Been Kissed, Zooey Deschanel dans Mumford, Dakota Johnson dans Crazy in Alabama, Simon Pegg dans Tube Tales, ou encore Idris Elba dans la
comédie française Belle maman, où
nous pouvions voir danser en calbut celui qui serait des années plus tard pressenti pour jouer
James Bond, dans les bras de Catherine Deneuve, aux côtés de Line Renaud et Vincent
Lindon. Eh oui.
Et
enfin, il y a 20 ans disparaissait Stanley
Kubrick (le 7 mars). De tout ce que je viens d’évoquer, son dernier film
sorti la même année, Eyes Wide Shut,
et le décès de son cinéaste représentent mes gros chocs cinématographiques de
cette année 1999…
10 décembre 2018
L’actu du moment, les gilets
jaunes et les casseurs qui ont dégradé l’Arc de Triomphe, m’a donné envie de me replonger
dans quelques souvenirs vieux ou récents de cinéma. French Rebellion, ou les
scènes de manif’ bien de chez nous. Bon visionnage !
5 décembre 2018
L’astronomie
était une grande passion de mon enfance. Le cinéma a entretenu le rêve, et c’est
aujourd’hui l’objet de mon nouveau vidéo-montage, les « Space Movies »,
ou la conquête de l’espace au cinéma.
« Quand Stanley Kubrick m’écrivit, au
printemps 1964, pour m’annoncer qu’il voulait réaliser le "film de
science-fiction de référence", les premiers pas de l’homme sur la Lune n’étaient
encore qu’un rêve. Et ce rêve, croyait-on, ne se réaliserait que dans un futur
éloigné. Intellectuellement, nous savions que c’était inévitable.
Émotionnellement, nous ne pouvions y croire vraiment - tout comme, aujourd’hui
encore, quelques idiots n’y croient toujours pas. »
(Arthur C. Clarke, 28 avril 2000)
Films
de science-fiction fantaisistes, adaptations d’histoires vraies (L’Étoffe des héros, Apollo 13…), quelques petites digressions (Predator ou The Thing,
parce qu’ils s’ouvrent tous deux sur un vaisseau extra-terrestre approchant de
la Terre)… il y a un peu de tout. Mais pas "tout". Naturellement, le sujet est vaste et la volonté n’était pas d’être exhaustif.
En dehors des films que j’ai pu oublier, j’ai aussi retiré beaucoup de films du montage afin de ne pas trop allonger une vidéo qui à la
base ne devait faire que 10 minutes… Je ne cite pas non plus les titres plus
obscurs, inconnus ou hélas connus comme certains navets, du Gendarme et les extra-terrestres aux perles
du cinéma Z italien, de Starcrash II
à La Bataille des étoiles. J’espère
que vous ne m’en voudrez pas.
6 novembre 2018
Dans
ma sélection, je distingue deux blocs regroupant au minimum un film par an :
de 1958 à 1970 (24
films, avec un maximum de 4 films pour l'année 1960), puis de 1972 à 1987 (36 films dont 6
pour l'année 1985). En tout cas, cette vidéo met en avant mon goût pour les
décennies 60, 70 et 80, largement représentées avec en moyenne une vingtaine de
films chacune. Pour le reste c’est très dispersé sur une période allant de 1925
à 2012 ; le maximum est atteint avec les années 1927 (4 films cités) et 1950 (3 films).
Niveau
cinéastes, c’est le Nouvel Hollywood qui est à l’honneur.
Sont
cités 4
fois : Brian De Palma, Roman Polanski et Steven Spielberg.
Cités 3 fois : Alfred Hitchcock, Stanley Kubrick et Ridley Scott.
Cités 2 fois : Charlie Chaplin, Akira Kurosawa, Fritz Lang, Peter Weir,
Quentin Tarantino, Jacques Tourneur, David Lynch et Francis
Ford Coppola.
De
grands manquants/disparus faute de place et de choix : Budd Boetticher (d’ailleurs
le western est totalement sous-représenté, hélas), Douglas Sirk, les frères
Coen et surtout Billy Wilder, une absence que je ne me pardonne pas, mais fort
à parier que tous reviendront dans une future édition de mon top 100...
Il
est difficile de résumer l’essentiel d’une carrière en une compilation de
scènes totalisant 6 minutes sans laisser de côté, volontairement ou non, quelques
séquences pourtant marquantes. Le cinéma de Martin Scorsese a en plus la
particularité de ressembler à son hyperactif créateur : enflammé,
débordant d’énergie et d’idées… m’obligeant à couper quelques plans que j’aurais
bien aimé insérer (mais mon vidéo-montage aurait alors dépassé les 6 minutes). J’espère
toutefois que vous apprécierez le résultat. Bon visionnage !
7 août 2018
Planet of the Apes (Franklin J. Schaffner,
1968)
Le rôle de la littérature et du cinéma de
science-fiction a souvent été de nous avertir des dangers et dérives de la
société. Rejoignant les actuelles prévisions alarmistes des climatologues et
scientifiques de la planète toute entière, l’idée d’une catastrophe mondiale
sans précédent et imminente n’est plus seulement un élément narratif intéressant, mais est
devenue depuis quelques années un horizon pessimiste de moins en moins tabou (y compris dans les sphères du pouvoir) et de plus en plus accepté
par la majorité des spectateurs. Beaucoup de choses semblent indiquer à la fois le
retour d’une crainte populaire, autrefois associée à la Guerre Froide, et une prise de conscience croissante du public, des citoyens, des artistes ou des penseurs pour les risques d’un effondrement.
En témoignent le retour d’une célèbre saga du cinéma post-apocalyptique
(Mad Max: Fury Road, 2015) ou le sujet du dernier film de Steven Spielberg, Ready
Player One (2018), tous deux montrant un futur chaotique et peu réjouissant (un monde duquel on ne s’évade que par le biais d’un jeu de rôle virtuel dans le Spielberg). Il y a une volonté de la part des artistes français d’un retour pourtant
casse-gueule du « cinéma de genre » et notamment dystopique,
malgré ses échecs récurrents au box-office hexagonal (dernièrement Dans la brume de Daniel Roby,
2018), mais aussi des succès venus des States, of course, sur le thème de la fin du monde avec les séries
de zombies comme The Walking Dead (Frank Darabont et Robert Kirkman,
2010). Le pessimisme global se lit également au travers des parodies sur le président Donald Trump, le voyant éventuellement déclarer
une guerre avec un pays étranger au détour d’un tweet maladroit, des ventes
favorables en librairies de Décadence (2017) de Michel Onfray,
développant sa théorie du « grand remplacement » de notre
civilisation judéo-chrétienne par celle de l’Islam (plus généralement l’idée
que l’Occident est en train de mourir), ou encore d’une série télévisée qui verra
bientôt le jour (et bien plus proche du sujet que je vais évoquer dans ce
billet), Twice as Bright d’Arthur Keller, sur l’effondrement de la
civilisation et les transitions vers la résilience et un monde viable, et bien
d’autres exemples…
Mad
Max: Fury Road (George Miller, 2015)
Au
milieu du XXème Siècle, pour nos parents ou grands-parents, le futur
était associé à l’idée de progrès. L’an 2000 était une obsession et faisait même rêver. Maintenant que l’an 2000 est derrière nous, notre avenir
se révèle dorénavant inquiétant, suffisamment pour nous angoisser. Dans une récente conférence
sur le thème du futur (disponible sur YouTube), Étienne Klein, physicien et
philosophe des sciences, pose l’interrogation suivante : « Que sera le climat dans cinquante ans ?
Ce que l’on sait c’est que ce sera une catastrophe. Mais du coup, à chaque fois
qu’on fait des extrapolations dans les domaines qu’on peut prédire (énergie,
climat, ressources naturelles), le futur devient le lieu de la catastrophe et
non plus celui de la révolution. »
Nul n’ignore désormais l’ampleur gravissime de la crise environnementale et
l’échec de la politique écologique moderne, l’instabilité de la croissance ou
la fragilité du marché financier mondial. Je
me suis penché en début d’année sur ce qu’on appelle les « Théories sur les risques d’effondrement de
la civilisation industrielle » à la fois passionnantes et effrayantes,
mais qui n’ont – je précise – aucun rapport avec la fiction même si je ferai
des parallèles avec le cinéma, ni avec le populisme scientifique des hebdomadaires racoleurs de la presse à
sensations, jouant avec les peurs des lecteurs et les scénarios de fin du
monde.Au contraire très sérieuses,
richement étayées, basées sur des études rendues publiques, vérifiables et
rigoureuses, et s’appuyant sur de nombreuses publications de chercheurs et des
indices mesurables (je donnerai en fin d’article quelques liens en supplément
de ceux répartis dans ce texte), elles démontrent ce que le cinéma de
science-fiction semblait nous dire à sa manière depuis longtemps : nous
sommes foutus.
Beaucoup cependant refusent
d’accepter l’idée que nous nous dirigerions tranquillou vers un basculement
logique et irréversible de la société, ou préfèrent ne rien savoir pour éviter
migraine et déprime. Vous verrez qu’il est très difficile d’être optimiste,
c’est pourquoi avant toute chose je me dois de faire un petit avertissement…
Mon article va aborder des thèmes au
caractère plutôt anxiogène. Les références au cinéma illustreront un propos
très sérieux dont la noirceur a de quoi pourrir le moral. Chacun a selon sa sensibilité une réaction différente face à une vidéo
montrant par exemple les coulisses des abattoirs, et il en est de même à la découverte des Théories
de l’effondrement qui seront développées ici. Il y a ceux qui veulent comprendre et
souhaitent s’y préparer, et ceux qui préfèreront détourner le regard. Certains
ne vont pas saisir qu’il ne s’agit pas de parler de la fin du
monde (en dépit du caractère catastrophiste), mais d’autres comprendront et pourront éventuellement tomber en dépression
(on raconte que des spectateurs sortent en larmes, apeurés, en colère, et en tout cas jamais indemnes des conférences
de Pablo Servigne, chercheur indépendant français, inventeur du terme collapsologue et auteur de Comment tout
peut s’effondrer – vous trouverez son interview en fin d’article). Il
serait donc plus sain pour certaines personnes de ne pas poursuivre à partir de maintenant car, je le redis, le sujet de cet article a de quoi empêcher
de dormir et faire disparaître toute envie de faire des enfants.
***
War
of the Worlds (Steven Spielberg,
2005)
Introduction à la pénombre
Tout est parti d’une panne de courant survenue
un soir de mars 2018 dans mon quartier parisien. La coupure était prévue par EDF
mais ils avaient oublié de prévenir les riverains. Certains étaient
descendus dans la rue et étaient prêts à souligner violemment leur
mécontentement aux ouvriers présents. L’intervention ne devait pas durer plus d’une heure et a finalement duré toute la nuit. Des embouteillages
retenaient le camion de leurs collègues sur l’autoroute avec tout le matériel.
Cette situation, ces ouvriers qui avaient déjà sectionné les câbles et coupé le
courant dans tout le quartier avant de se rendre compte qu’ils n’avaient pas encore tout le nécessaire pour réparer, me laissait
rêveur.
Je croisais certains habitants errant le regard en
l’air balayant un ensemble de fenêtres aux lumières éteintes, en pensant
sûrement comme moi que le taux de natalité allait sûrement grimper d’ici neuf
mois.
Un ami, nouvellement propriétaire d’un restaurant
japonais, m’invitait à me réfugier au chaud (les températures, surtout au soir,
étaient encore basses) et m’offrait de manger ses derniers menus.
Heureusement, j’ai pu compter sur les derniers clients
finissant leur soirée aux chandelles pour me changer les idées. Ils étaient
plus détendus et ravis de compter un naufragé de plus dans cette ambiance de
fin du monde dans laquelle il ne manquait que l’orchestre du Titanic. Car
pendant un soir et une nuit à Paris 7e : plus de lumière, plus
d’ordinateur après deux heures d’autonomie, plus de téléphone fixe ni de
portable (que j’avais oublié de recharger), plus d’eau dans les lavabos des
toilettes du restaurant (un robinet automatique qui se déclenche en passant sa
main devant un détecteur – autant dire qu’après avoir serré les mains des
clients qui étaient passés aux toilettes, je me suis bien lavé les miennes une
fois rentré chez moi), plus de frigo, plus de micro-ondes, et j’ai dormi comme
les autres habitants du quartier, c’est-à-dire avec des pulls sous la grosse
couette car… plus de chauffage électrique.
Ce soir-là, une panne de courant m’a amené à réfléchir
sur un sujet de dystopie souvent abordé par les écrivains et réalisateurs de
science-fiction, à imaginer le degré de réalisme que les cinéastes (eux avant tout,
car ce blog est d’abord un blog de cinéma) ont pu présenter jusque là. Dans un but d’éclairer sur ce qui est en train d’arriver et de le mettre en parallèle avec le 7e Art, cet article réunit et résume les nombreux textes qui m’ont conduit à découvrir ces intrigantes Théories de l’effondrement…
Ready Player One (Steven
Spielberg, 2018)
Prêts à saigner des yeux ? Alors allons-y pour les nuits blanches…
Si autrefois il était courant d’alerter l’opinion sur le monde dégueulassé que nous
laisserions aux générations futures, la nouveauté des rapports scientifiques est de ne plus parler de nos enfants ou petits-enfants, mais de nous-mêmes. En effet, nous connaîtrions l’effondrement de notre propre vivant (du moins pour
la majorité d’entre nous) car il arriverait à court terme. Fini le rêve de posséder une voiture volante, de porter une combinaison en aluminium ou
de voir Elon Musk transformer Mars en planète B. Pas
question ici d’Apocalypse biblique, de prédiction Maya,
d’astéroïde géocroiseur prophétisé par Nostradamus, de Russes décidant
de pulvériser le monde à coups de Tsar Bomba, d’une épidémie d’un
nouveau virus mortel créé
en laboratoire, de zombies ou encore d’une attaque d’aliens hostiles
venus d’une galaxie
lointaine. Alors de quoi est-il question, exactement ?
Children
of Men (Alfonso Cuarón, 2006)
Il est d’abord question d’écologie (forcément) et
d’une planète qui a atteint les limites de ses ressources, en raison d’une activité humaine trop importante ayant causé des dommages irréparables, et provoqué
de trop grandes modifications de l’environnement et de son écosystème (conduisant
à une accélération de l’extinction des espèces animales et une dégradation alarmante de la biodiversité).
Il est ensuite question de cataclysmes liés à ces
transformations, pour lesquelles l’été 2017 avec sa succession d’évènements climatiques extrêmes (ouragans, inondations, incendies) n’a pas démontré le contraire, dévoilant une
nouvelle fois la vulnérabilité des pays riches comme des pays pauvres face aux
dérèglements du climat (et à l’instant où j’écris, la Californie connaît le plus
grand incendie de forêt de son histoire).
Enfin il est question de l’effondrement en lui-même. C’est-à-dire une chute brutale, inéluctable et irréversible du système financier à
l’échelle mondiale, entraînant l’écroulement définitif des banques. Il laissera
place à une société livrée à elle-même, devant faire face à des pénuries, une insécurité, une rupture des réseaux de services essentiels comme l’électricité, la nourriture et l’eau, une surpopulation et une immense pauvreté. En
gros la Grèce de 2010 mais étendue à la planète entière et sans solution de
secours. Tout un programme.
The
Day After Tomorrow
(Roland Emmerich, 2004)
Ainsi, l’effondrement résulterait de la combinaison de multiples problèmes, en
majorité écologiques, devenus désormais des défis difficiles voire impossibles
à relever, trop nombreux et ne pouvant être résolus de la façon dont
fonctionnent nos sociétés. Le dérèglement climatique se fait bel et bien
ressentir, n’en déplaise à Donald Trump qui se demande pourquoi il neige encore
en hiver (les Américains ont un président qui ignore la différence entre météo
et climat). Certains écosystèmes sont de plus en plus vulnérables et vont
simplement disparaître ou ont déjà disparu. Nous arrivons à la fin de l’ère des
énergies fossiles (charbon, pétrole ou gaz naturel) et du système-dette, et
l’interdépendance et la fragilité de notre économie globalisée mènent bel et
bien à des crises mondiales. Pour beaucoup de chercheurs, le point de non-retour a été franchi.
Take Shelter (Jeff
Nichols, 2011)
***
Revenons en arrière le temps d’un petit historique
explicatif : en 1968, un certain Jay Forrester, théoricien au MIT et pionnier
de l’informatique (il est l’inventeur de la mémoire
RAM), fonde la Dynamique des systèmes qui permet, via une simulation
informatique, de comprendre la complexité des systèmes et leur évolution dans
le temps. Entouré d’une équipe dite du Club de Rome (un groupe de réflexion qui
réunit entre autres des scientifiques, des économistes, des fonctionnaires ou
des industriels de 52 pays), ils « modélisent » le monde dans ses
interactions complexes, dans les sphères économique, démographique,
environnementale. Ils créent ainsi un modèle de notre société avec ses données
connues : taux de natalité et mortalité, espérance de vie, croissance
économique, industrielle, etc. Il manque bien sûr certains paramètres alors
inconnus à cette époque, mais déjà ce modèle simplifié, baptisé World3,
permet de voir comment tout cela évolue sur une période d’une centaine
d’années.
Résultat de l’expérience : effondrement des
courbes avant la fin de la première moitié du XXIe Siècle...
Stupéfaction au sein du petit groupe. Personne ne s’y
attendait. Ils recommencent en ajoutant de nouvelles données, ou en modifiant
des paramètres. Rebelote, les courbes chutent et indiquent que le système va
s’effondrer…
Au bout de plusieurs tests, plus ou moins scénarisés
(« …et si on baisse la natalité, et si on dépollue la planète, et si on
augmente les rendements agricoles… »), ils parviennent à stabiliser
les courbes à partir d’un modèle « idéalisé », en appliquant en même
temps tous les scénarios précédemment essayés – à une époque où il n’est pas
encore question de réchauffement climatique ni de fortes inégalités sociales,
paramètres importants puisqu’ils accélèrent l’effondrement. Le 1er mars 1972, alors que le monde vit encore dans les
« Trente Glorieuses » et à l’apogée de sa croissance économique, le
Club de Rome déclare que l’économie mondiale « tend à stopper sa
croissance et à s’effondrer sous l’effet cumulé des limites sur les ressources,
de la surpopulation et de la pollution. »
Logan’s Run (Michael
Anderson, 1976)
Ils publient les résultats dans leur premier rapport, The Limits to Growth, littéralement
« Les Limites à la croissance », sorti chez nous sous le titre Halte
à la croissance ? mais plus généralement évoqué sous le nom de Rapport
Meadows du nom de son principal rédacteur, Dennis Meadows. Notre civilisation ne peut simplement pas fonctionner de façon illimitée avec
un mode de croissance. Suscitant un débat extraordinaire qui le conduit par ses conclusions à être situé politiquement, le rapport se retrouve très contesté, soulevant de vives critiques jusqu’en France, notamment par le centriste Raymond Barre et le communiste Georges Marchais lorsque le commissaire européen, Sicco Mansholt, le met en avant pour prôner une réorientation des politiques européennes.
Le modèle World3
a connu plusieurs
vérifications notamment en 1993, 2004 et 2012 (à l’occasion du quarantième
anniversaire du rapport), en utilisant la même méthodologie mais avec des moyens de plus en plus modernes, et en tenant compte de nouvelles observations. Elles ont toutes confirmé son pronostic.
C’est durant les
années 70 qu’apparaissent au cinéma les premières œuvres de science-fiction
traitant d’écologie, une thématique novatrice dans Silent Running
(1972), premier film réalisé par le directeur des effets spéciaux Douglas
Trumbull (2001, Blade Runner), puis dans Soleil vert de Richard
Fleischer l’année suivante.
Dans Silent Running, écrit notamment par un jeune Michael Cimino alors
débutant, la Terre a été dévastée par un cataclysme écologique qui n’a laissé
aucune ressource naturelle pour survivre. La planète n’ayant plus de
végétation, l’astronaute botaniste Freeman Lowell (Bruce Dern), entouré de
robots-assistants, cultive le reste de forêts et d’espèces végétales ayant été
épargnées dans une serre, à bord du vaisseau-transporteur spatial Valley Forge.
Silent Running (Douglas
Trumbull, 1972)
Poursuivons plus ou moins
brièvement cet historique avec, en 1986, la sortie d’un essai qui fera date.
Dans La Société du risque, analyse minutieuse et critique de la
modernisation des sociétés contemporaines, le sociologue Ulrich Beck décrit la
population mondiale comme étant « à bord d'un avion pour lequel aucune
piste d’atterrissage n’a été construite à ce jour », et s’attaque aux
acteurs « censés garantir la sécurité et la rationalité – l’État, la
science et l’industrie. » À partir des années 2000, les scientifiques
alertent ou tentent d’alerter de plus en plus l’opinion sur le réchauffement
climatique qui risque de changer fondamentalement la planète.
Entre 2007 et 2009, le monde traverse une crise
financière majeure, marquée par des faillites et conduisant à la crise de la
dette publique grecque, laquelle manque de peu de s’étendre à l’Union
Européenne. Elle mène la Grèce à des années de récession pendant lesquelles le
peuple se voit imposé des mesures d’austérité exceptionnelles, proches de
scènes de guerre. Le pays affiche une nette hausse du chômage dans toutes les
classes sociales, de nouvelles catégories de pauvres apparaissent, les
crimes, la prostitution et les maladies sexuellement transmissibles augmentent,
les hôpitaux sont débordés, manquent de moyens et de médicaments et finissent
par fermer, etc.
Zardoz (John Boorman, 1974)
Last but not least, parlons de l’année 2014 où, dans la lignée du Club de
Rome, la NASA va conduire ses propres recherches sur le sujet
à travers une étude qui va devenir célèbre.
Le Rapport HANDY pour « Human And Nature DYnamical » inclue notamment le paramètre des
inégalités dans l’effondrement (élément manquant dans le Rapport Meadows). Les résultats de ces recherches feront le « buzz » (du moins pendant quelques jours) sur Internet, avec
à la clé des articles de fin du monde sur Yahoo Actu, bien
sûr. Dans notre époque singulière de réseaux sociaux, certains sujets
importants comme l’effondrement sont souvent réduits à figurer parmi la nuée d’articles fumeux sur les prédictions de Nostradamus, dans la tradition des sujets apocalyptiques, avant d’être balayés par un revers de la main quand vient la Coupe du Monde.
Ce très sérieux Rapport HANDY confirme les
conclusions du Rapport Meadows, donc cette même
chute inexorable de notre ère civilisationnelle dans les prochaines décennies.
Pour compléter leur rapport en utilisant des exemples concrets, les chercheurs
de la NASA ont créé un rapprochement entre notre civilisation et d’anciennes
disparues brutalement (Romains, Grecs, Mayas, Mésopotamiens, etc.), tirant la
conclusion que l’exploitation excessive des ressources de la planète et le
creusement des inégalités au sein de la société entre les plus riches et les
plus pauvres, ont grandement participé aux causes des précédents effondrements
des civilisations. Nous reproduisons le même schéma.
***
Twelve Monkeys (Terry Gilliam, 1995)
« You, you said you'd wait until the end of the world. » (U2)
Le rapprochement (ou la confusion) par le public de ces théories avec celles de la fin du Monde
ou de l’Apocalypse, s’explique par l’ampleur (supposée) de la catastrophe à venir. En effet, il s’agirait vraisemblablement d’un désastre planétaire sans précédent, et de la
période la plus bouleversante que connaîtrait l’humanité. La fin d’un monde, mais pas la fin du monde.
L’ancien ministre de l’écologie Yves Cochet
(aujourd’hui président-fondateur de l’Institut Momentum, groupe de réflexion au
sujet de l’imminence de l’effondrement de la civilisation industrielle) précise
qu’elle serait composée à quelques années-près de trois phases : d’abord
la « fin du monde tel que nous le connaissons » située entre les
années 2020 et 2030, puis « l’intervalle de survie » entre 2030 et
2040, et le « début d’une renaissance » entre 2040 et 2050. Les scientifiques
les plus alarmistes, en revanche, parlent de l’éventualité de ce qu’ils appellent
« l’Âge de la pénombre » qui nous rapprocherait d’un film comme The
Road (John Hillcoat, 2009) avec Viggo Mortensen. Œuvre désespérée, adaptée
d’un roman post-apocalyptique du même titre publié en 2006 (prix Pulitzer de la
fiction) et écrit par Cormac McCarthy (auteur de No Country For Old Men
qui connaîtra une adaptation sublime par les frères Coen), le film se déroule
dans ce qui semble être un hiver nucléaire, au milieu de paysages enfumés,
couverts de cendres, où la faune a totalement disparu. Dans leur quête
impossible d’un paradis perdu pour toujours, un père et son fils, comptant
parmi les quelques survivants de l’Humanité, se retrouvent en permanence
confrontés à la barbarie des autres survivants ayant pour la plupart sombré
dans la violence, le meurtre et le cannibalisme.
The Road (John
Hillcoat, 2009)
Bien sûr, s’il venait à se produire comme prévu,
l’effondrement ne serait pas forcément aussi brutal et surtout, en raison de
différences liées entre autres au climat, aux régimes politiques ou aux
cultures de chaque nation, il ne serait pas le même en fonction des régions du
globe. Certains pays connaissent déjà un ensemble des conditions et
circonstances proches de la définition de l’effondrement donnée par Yves
Cochet, c’est-à-dire : « Une situation dans laquelle les besoins de
base (eau, alimentation, logement, habillement, énergie, mobilité, sécurité) ne
sont plus fournis à une majorité de la population par des services encadrés par
la loi. »
La possibilité d’une extinction humaine massive n’est plus de
la science-fiction pour les chercheurs. Mais en dehors de la
parole d’une poignée de scientifiques, le plus décourageant est d’observer les
militants écologistes historiques en train de baisser les bras, comme l’Anglais
Paul Kingsnorth qui, après des décennies de fervent militantisme
environnemental, est convaincu qu’il est aujourd’hui beaucoup trop tard,
affirmant que l’effondrement est dorénavant inévitable. Le New York Times
avait même consacré un dossier de huit pages (lien en anglais) sur son abandon pur et simple en
2014. Son opinion gagne de plus en plus à être connu du grand public (au moins
de ceux qui s’inquiètent de l’avenir de la planète).
10 Cloverfield Lane (Dan
Trachtenberg, 2016)
Bien entendu, ces théories sont a-do-rées par les
survivalistes américains qui se voient déjà enterrés avec leurs stocks dans leur bunker high-tech. Toutefois, il ne faut pas tous les mettre dans le même panier. En France, il existe chez les survivalistes un clivage entre deux camps. D’un côté il y a disons les humanistes, du genre autonomes Zadistes voulant s’entraider, former à la récolte de plantes comestibles en vue de réapprendre les savoir-faire élémentaires, de
reconstruire une civilisation et qui choisissent de rester solidaires. Et de l’autre les individualistes, souvent des radicaux d’Extrême droite, pro-autodéfense car imaginant le pire chez l’humain, armés et prêts à défendre leur famille et leur ravitaillement contre leur voisin affamé. Les plus riches ont déjà investi dans des habitations au milieu de nulle part et
près d’une source d’eau. D’autres rêvent de construire un abri en Nouvelle
Zélande où ils se voient cultiver un potager et élever des chèvres, et
stockent dès à présent des boîtes de conserve et quelques denrées alimentaires
pour survivre quelques jours, le temps de s’habituer à une nouvelle vie.
War
of the Worlds (Steven Spielberg,
2005)
Selon toute vraisemblance, dans le cas d’un
effondrement, les premiers et plus durement touchés seraient les habitants des
grandes villes. Une des meilleures allégories se trouve dans le cinéma de
zombies : les survivants ont plus de chances d’être en sécurité en se
tenant éloignés des points de concentration de la nourriture favorite des
morts-vivants (les centres-villes, forcément remplis d’humains) et tenteront
alors de gagner des endroits plus isolés et reculés, les petites
villes, les campagnes et enfin, plus difficiles d’accès, les montagnes et ses chalets où les
protagonistes de 28 Days Later… (Danny Boyle, 2002) finissent par se cacher.
À ce sujet, il est amusant de noter que certains
spécialistes, comme le Français Pablo Servigne précédemment évoqué, ont préféré
quitter la ville pour justement s’installer à la montagne avec leur famille.
Dawn
of the Dead (Zack Snyder, 2004)
L’armée allemande (la Bundeswehr) a jugé plausible en 2010 qu’à moyen terme, le système économique global et chaque économie de marché nationale puissent s’effondrer, notamment à cause du pic pétrolier (le jour où les extractions de pétrole devenant insuffisantes par rapport à la demande mondiale amorceront un déclin). De son côté, l’armée française regarde aussi de très près la menace de l’effondrement. C’est d’ailleurs à la demande du ministère des Armées qu’a été créé l’Observatoire Défense et Climat (de son nom complet, l’Observatoire géopolitique des enjeux des changements climatiques en termes de sécurité et de défense), coordonné par l’Iris (Institut de Relations Internationales et Stratégiques). L’armée place sous très haute surveillance des sites comme par exemple le grand marché de Rungis dont dépendent les restaurants, brasseries, supermarchés ou épiceries de tout Paris, et se tient toujours prête à intervenir sur place en raison du risque d’attentats et même de grève (si cela devait menacer le ravitaillement en l’Île-de-France). Mais elle ne serait d’aucun recours si, pour des raisons plus complexes, Rungis n’était plus approvisionné. Elle ne pourrait pas non plus aider la population face à une situation qui dégénèrerait probablement très vite dans la violence. Nous avons déjà pu voir récemment ce que provoque une promotion pour du Nutella, et connaissons les scènes d’hystérie collective au premier jour des soldes à H&M, deux exemples assez représentatifs des mouvements de masse, ici pour des raisons dérisoires.
Green Soylent (Richard
Fleischer, 1973)
L’hiver dernier, trois centimètres de neige sur la France sont parvenus à créer
700 kilomètres d’embouteillages sur le réseau autoroutier d’Île-de-France, et à
contraindre les routiers et camions de livraison à se rendre dans des aires de
stockage. Cela eut pour conséquence de voir des rayons entièrement vides dans
les magasins parisiens. La vidéo YouTube d’un couple de Québécois en
train de regarder un journal télévisé français en se moquant du sort des
habitants de la capitale, vidéo devenue virale et dont le succès a amené la
radio et même la télévision française à la diffuser, montre au delà du fossé
entre nos deux pays une vérité plutôt effrayante : nous ne sommes pas
capables de gérer une situation loin d’être alarmante, comment cela se
passerait-il en cas de crise majeure ? En écho à mon anecdote sur la
coupure de courant dans mon quartier, je citerais l’interrogation d’Yves
Cochet : « Y aura-t-il de l’électricité en Ile-de-France en
2035 ? » (tirée de
De la fin d’un monde à la renaissance en 2050, paru dans Libération)
The Pianist (Roman
Polanski, 2002)
« L’histoire ne se répète pas, mais elle rime. » (Mark
Twain)
Un article de France Soir du 10 octobre 2011, intitulé Crise de la dette grecque : plus de suicides et de prostitution, cite une étude
britannique selon laquelle il y eut pendant la crise de 2010 en Grèce une hausse de
tendances « très inquiétantes, un doublement des cas de suicides, une
hausse des homicides, une augmentation de 50 % des infections au virus HIV et
des gens qui nous disent que leur santé a empiré mais qu’ils ne peuvent plus
consulter de médecins même s’ils devraient le faire. »
Cette crise a rappelé à la planète toute entière la fragilité du système
économique mondial, de nos jours toujours aussi déséquilibré et à deux doigts
de basculer. Par effet de contagion ou de dominos, des banques font faillite et
entraînent dans leur chute d’autres banques qui étaient leurs créancières. Dans
notre économie internationalisée, l’interdépendance financière des grandes
banques et l’interdépendance des marchés des biens font que l’effondrement
économique d’un seul pays peut mener à une crise mondiale.
The Road (John
Hillcoat, 2009)
« What have they done to the Earth? What have they done to our fair
sister? » (The Doors)
En cherchant vainement, pendant des années, à travers
des cris de plus en plus alarmistes, à avertir populations et dirigeants des
risques qu’il y a à saccager autant l’environnement, d’extraire et d’exploiter les
ressources jusqu’à la dernière goutte de pétrole, les climatologues et
écologistes me rappellent cette figure du héros lucide et donquichottesque
opposé aux forces du pouvoir qui ont évidemment un intérêt financier à
protéger. Cherchant par tous les moyens à mettre en garde leurs proches
ou le public, ils sont finalement peu
écoutés si ce n’est tournés en ridicule (et n’oublions pas que l’histoire leur donne toujours raison). Cette image m’évoque le duo Martin Brody (Roy Scheider) et Matt
Hooper (Richard Dreyfuss) face à l’entêtement du maire d’Amityville (Murray
Hamilton) dans Les Dents de la mer.
Jaws (Steven
Spielberg, 1975)
Et comme le maire d’Amityville, les grands groupes
pétroliers comme Total sont parfaitement au courant que leurs antagonistes ont
raison, ici en l’occurrence que le réchauffement climatique est une réalité.
Ils ne sont pas sourds parce qu’ils ne croient pas aux explications qui leur
sont données, mais parce qu’ils connaissent aussi (et surtout) les enjeux
économiques que cela implique, gardant la tête dans le sable, quitte à préférer
risquer la vie des autres que de perdre de l’argent.
Pour preuve, Total a par exemple investi des millions
d’euros dans la mise en place d’un nouveau passage maritime que permet dorénavant la
fonte progressive et continue de la banquise. En juillet 2017 un méthanier de
300 mètres de long, portant le nom de « Christophe de Margerie » (du
nom de l’ancien Pdg de Total décédé en 2014) a franchi sans encombre le passage
nord-est bordant les côtes septentrionales de la Sibérie dans l’océan Arctique,
rejoignant en seulement 15 jours l’Asie par le détroit de Béring. Depuis, de
nouveaux méthaniers sont progressivement amenés à faire le même trajet,
prouvant par là qu’il y a bien une fonte et un recul de la banquise, et donc un
réchauffement climatique.
Cela amène en outre l’hypothèse d’un
scénario-catastrophe hélas très crédible, sur le risque élevé de marée noire dans
un environnement aussi vulnérable. Dans un rapport de la Commission des affaires
étrangères du Sénat, l’ancien membre d’Europe Écologie Les Verts André
Gattolin a déclaré qu’il serait « tout à fait impossible de lutter
contre une marée noire en milieu polaire » ce que confirment les
chercheurs de l’université de Laval au Québec, et le Conseil de
l’Arctique : aucun pays n’aurait les moyens (techniques, financiers
et en effectifs humains) de réagir dans ce genre de catastrophe en Arctique. Si cela
devait se produire, les conséquences seraient effrayantes…
Souvenons-nous d’un récent épisode dramatique, adapté au cinéma avec Deepwater Horizon (2016) de Peter Berg avec Mark Wahlberg,
Kurt Russell et John Malkovich, sur la plateforme de
forage pétrolier du même nom. Ce puits appartenant à BP, le plus profond
jamais creusé en offshore, a explosé le 20 avril 2010 provoquant un gigantesque incendie, tué onze personnes, et engendré
une marée noire de grande envergure, devenue la plus importante pollution
marine de l’Histoire derrière la Guerre du Golfe (en 1991, l’armée irakienne sabotait les puits de pétrole koweïtiens pour ralentir l’armée américaine). Alors que le Deepwater Horizon a coulé deux jours après son explosion, l’équivalent de 4,9 millions de barils
soit 780 millions de litres a continué de se déverser dans le golfe du Mexique par diverses fuites, pendant les mois qui ont suivi,
affectant l’écosystème et menaçant les oiseaux marins, les poissons, la vie
bactérienne marine et terrestre, les tortues ou mammifères marins (plus de 400
espèces animales ont été atteintes). Après plusieurs échecs successifs pour obstruer les puits, BP a annoncé avoir (officiellement) réussi à colmater toutes les fuites, plus de cent jours après le début du déversement de pétrole dans la mer.
The
Road Warrior (George Miller, 1981)
Pour en revenir au choix délibéré d’ignorer les
avertissements, un rapport publié fin 2016 par l’ONG environnementale Oil
Change International explique que, pour espérer ne pas dépasser les 2°C d’ici à
2050, il faut impérativement stopper, dès maintenant, « toute nouvelle
construction d’infrastructure extractive. » Une conclusion que ne veut
absolument pas entendre Patrick Pouyanné, actuel Pdg de Total. Face à un
parterre d’actionnaires et dans un élan vers le pire, il a en effet affiché sa
volonté de relancer la production et l’extraction d’hydrocarbures, dévoilant au
passage une liste d’une dizaine de gisements prêts à être prochainement
développés à travers le monde…
Je viens d’évoquer la limite fatidique des 2°C que les
climatologues espèrent ne pas voir dépasser (selon eux, si le réchauffement se
poursuit et que le réchauffement climatique dépasse le seuil limite des 2°
supplémentaires, nous entrerions dans un modèle de monde inconnu, menant à un
emballement climatique probablement brutal). En l’état actuel des choses, cela
semble mal engagé, mais même si nous parvenions à nous limiter et ne pas
dépasser ces 2°, toute augmentation de température même moindre modifie peu à
peu le monde tel que nous le connaissons.
Le réchauffement climatique entraîne une fonte des glaciers non seulement aux
pôles mais aussi de ceux de l’Himalaya, qui alimentent sept grands fleuves
d’Asie, et réduit l’approvisionnement en eau de millions de personnes. Depuis
quelques années, l’Inde souffre de plus en plus d’épisodes de chaleur et de
sécheresse d’une intensité et de durée sans précédent. En 2015, 10 états sur
les 29 de la fédération indienne ont manqué d’eau avec la réduction dramatique
du Gange. Pour ne rien arranger, à cause de l’accès restreint à
l’eau potable, des tensions historiques existent entre l’Inde et le Pakistan,
deux pays détenant l’arme nucléaire et qui ont déjà menacé de l’utiliser l’un
contre l’autre à cause des conflits liés au fleuve Indus, dont dépendent les
Pakistanais. Le fleuve diminue en taille de façon alarmante et catastrophique,
avec les centaines de millions de riverains qui en consomment de plus en plus
son eau. Ce n’est pas un secret qu’une crise climatique va avoir lieu dans ces
régions et priver des millions de personnes d’eau, ce qui va forcément évoluer
en soulèvement du peuple et rapidement dégénérer en conflit armé, provoquant
famine, ruptures d’approvisionnement dans d’autres régions, déclencher une
pandémie, etc. C’est presque déjà écrit.
Soylent Green (Richard
Fleischer, 1973)
Les ressources hydrologiques se retrouvent gravement
menacées ailleurs dans le monde en raison des problèmes de gestion des eaux
usées (déversées dans l’environnement et qui s’infiltrent dans les eaux de
surface ou souterraines), de la pollution par les hydrocarbures, des produits
chimiques de synthèse et polluants persistants comme les matières plastiques et
pesticides, des résidus de produits pharmaceutiques, ou encore de la pollution
radioactive. La qualité de l’eau se trouve de plus en plus dégradée, et peut
avoir pour résultat la détérioration du fonctionnement des écosystèmes.
La raison qui nous empêche d’arranger les choses est,
bien sûr, toujours en rapport avec la question de l’argent. Il faut investir
pour traiter et purifier l’eau. Or, les infrastructures traitant des eaux
municipales et industrielles et d’assainissement ont beau être surchargées,
leur amélioration reste très coûteuse.
Année après année, l’ONG américaine Global Footprint
Network, qui calcule la « journée du dépassement » (date à laquelle
l’humanité est supposée avoir consommé l’ensemble des ressources que la planète
est capable de régénérer en un an), estime que nous vivons à crédit de plus en
plus tôt.
En 2018, nous avons encore perdu une journée sur l’année
dernière. Ainsi, le 1er août 2018 (contre le 2 août en 2017), la
planète a pêché plus de poissons, abattu plus d’arbres et consommé plus d’eau
que ce que la nature ne peut produire au cours d’une année, et les émissions de
gaz à effet de serre ont été plus importantes que ce que les océans et les
forêts ne peuvent absorber.
L’Humanité utiliserait ainsi les ressources naturelles
1,7 fois plus vite que les écosystèmes ne peuvent régénérer. Si
chacun des 7 milliards d’individus constituant la population mondiale
vivait comme les Occidentaux dans les pays développés, l’atmosphère
terrestre ne le supporterait pas et se remarquerait de façon immédiate. Nos modes de vie ne sont pas universalisables, ni amenés à se poursuivre sur la durée.
Oblivion (Joseph Kosinski, 2013)
« Le bateau coule, il nous reste à sombrer avec élégance » (Michel
Onfray, Décadence)
Certains gouvernements ne cachent même pas leur crainte d’une crise majeure
imminente. Selon le quotidien FAS (Frankfurter Allgemeine Sonntagszeitung),
l’Allemagne a adopté en août 2016 un plan de défense civile, inédit de la part
d’un gouvernement d’Europe de l’Ouest depuis la Guerre froide, officiellement
par crainte d’attentats ou d’autres catastrophes, incitant ses citoyens à faire
des stocks pour au minimum une à deux semaines. « Parmi les consignes pour
se préparer à une éventuelle menace : constituer des vivres et des réserves
d'eau. » (europe1.fr) C’est une annonce particulièrement rare puisque
la volonté des dirigeants d’un pays est généralement d’éviter de semer la
panique. Officieusement, selon Dennis Meadows, il se dit même que le
gouvernement allemand réimprimerait des Deutschemarks, ce qui ne témoigne pas d’une immense confiance pour l’avenir de l’Europe.
Auprès du public, même s’il est un peu tard, les mentalités et comportements
évoluent depuis quelques temps. Sur Internet, en prenant bien sûr le soin d’éviter, une fois encore, les sites complotistes, extrémistes ou de survivalistes
politisés, il devient évident qu’une partie du public connaît à présent ces
théories et expriment leur croyance pour un effondrement imminent, même si
certains espèrent toujours voir les choses s’arranger. Car s’il y a une prise
de conscience, il y a également une grande part d’incertitude, et aussi de
réticence à y croire.
Par mécanisme de défense ou par manque d’outils, d’informations ou de
connaissances (comme savoir faire la différence entre les théories
scientifiques et les hypothèses loufoques sur le web), la psyché humaine
embrasse plus facilement le déni ou la solution de facilité. Comme dans un
deuil, le déni est une réaction parfaitement humaine à la moindre chose
désagréable, un état infantile permettant de continuer à vivre en atténuant, en
ignorant volontairement ou en créant une distance par rapport à une réalité
dérangeante, trop sinistre. Comme l’a déclaré l’astrophysicien Hubert Reeves :
« Ce qui est terrifiant aujourd’hui c’est l’augmentation de la
température terrestre. Pourtant les gens vivent comme si tout cela n’existait
pas ! Si je me pose la question de savoir comment sera la Terre dans
trente ans, et son habitabilité, je ne peux vous le dire. Nous sommes dans une
période de changement profond de tout ce qui touche la vie terrestre. Je crois
que la vie continuera. La vie est très riche. Nous ne sommes pas en mesure
d’éliminer la vie sur le globe. Mais quelles seront les adaptations, quelle
sera celle de l’être humain ? C’est cela la vraie question. Les espèces
qui durent sont celles qui savent s’adapter. »
Si le monde existe encore
demain après un basculement majeur comme celui qui semble nous pendre au nez,
il est certain que ce ne sera pas sans plaies. Le cinéma post-apocalyptique (et
depuis quelques années les séries TV) nous a considérablement abreuvé de l’imagerie noire et mélancolique de fin du monde, avec ses héros déambulant au
milieu des ruines, de déserts ou de décors de raffineries rouillées à perte de vue, et
luttant pour leur survie en menant des existences débarrassées des carcans de
la société.
L’original, audacieux, atypique et toutefois imparfait et inégal A Boy And
His Dog (1975 – sorti en France sous le titre Apocalypse 2024)
réalisé par L.Q. Jones, présente un monde déshumanisé, âpre, phallocrate et
dénué de véritable héros. En dépit d’un chien télépathe, dont l’idée sur le
papier peut surprendre mais qui est plutôt bien introduit, avec lequel
communique le protagoniste (le tout jeune Don Johnson dans le rôle étrange et
amoral d’un survivant voyou et misogyne), et à l’instar du plus réussi The
Road évoqué précédemment auquel il se rapproche par son épilogue cruel et
ironique, il met en scène des paysages dévastés, déserts, où la barbarie, les
viols et les meurtres sont devenus monnaie courante, quelques années avant
l’arrivée de Max Rockatansky sur les routes.
Blade Runner 2049 (Denis
Villeneuve, 2017)
Mais même dans les films les plus récents, certains éléments incongrus ont pu être relevés par l’Américain James Howard Kunstler,
romancier, essayiste et journaliste. Si son point de vue en tant que critique
de cinéma est pour le moins très discutable (il est sorti avant la fin de la
séance de Blade Runner 2049 qu’il jugeait « intellectuellement
insultant »), il soulève cependant quelques questions intrigantes sur son blog (en anglais) dont voici quelques extraits.
« Blade Runner 2049 est plein de
rétro-anachronismes hilarants – des choses qui nous entourent maintenant et ne
seront probablement plus là dans le futur. La signature typique dans de
nombreuses dystopies de science-fiction récentes est la présence supposée
d’automobiles. »
Pour lui, il s’agit là de « pièges monotones
de la production cinématographique, à savoir que nous ne pouvons pas imaginer
un avenir – ou n’importe quelle société humaine d’ailleurs – qui ne soit pas
centré sur les voitures. »
Il revient également sur le rêve d’Elon Musk, et le
précédent film de Ridley Scott qui a lieu dans un « Los Angeles rempli
de méga-structures palpitantes avec des publicités holographiques. D’où vient
l’énergie pour construire tout ça ? Supposément de quelque chose dont M.
Musk rêve et dont nous n’avons pas encore entendu parler. Franchement, je ne
crois pas qu’un tel miracle soit en chemin. » (Kunstler.com, 13
octobre 2017)
Terminator
2: Judgment Day (James Cameron, 1991)
Selon le point de vue le plus optimiste sur
l’effondrement, celui de Pablo Servigne, il ne s’agirait pas de la fin de
l’Humanité, et nous verrions aussi davantage d’entraide que de guérillas à la Mad
Max. D’après lui, les études sur les survivants de catastrophes violentes
telles que les attentats, les crashes, les tsunamis, l’ouragan Katrina en 2005,
etc., ont relevé davantage de comportements d’entraide et d’auto-organisation
développés par eux-mêmes, que de scènes de panique et de pillages, minoritaires
mais qui ont toujours abreuvé BFMTV en images sensationnelles.
En revanche les chercheurs les plus pessimistes
rappellent que nous parlons ici d’une catastrophe mondiale sans précédent. Les
scènes de bagarres collectives dans les magasins sont généralement assez
représentatives des mouvements de masse, et d’ailleurs Servigne admet lui-même
que l’entraide a aussi ses limites, pouvant se dégrader sur la
durée avant de s’effondrer à son tour.
Mad Max (George
Miller, 1979)
***
ÉPILOGUE
« The last one to die please turn out the
light » (Children of Men, Alfonso Cuarón, 2006)
L’activité humaine.
Elle a provoqué des modifications irréparables dans
l’environnement. Elle est à l’origine de l’agriculture intensive et la surpêche, la déforestation,
l’évolution de la démographie, la fragmentation
écologique, la réduction ou destruction des habitats, la dégradation de la biodiversité et des sols, les différentes
pollutions (de l’air, des eaux et de la terre), l’augmentation exponentielle de
la consommation (et donc l’extraction des ressources fossiles ou minérales comme
le charbon, le pétrole, le gaz naturel, l’uranium, etc.), le changement de
cycle de certains éléments (l’azote, le phosphore, le soufre), etc.
Autre indice inquiétant, toutes les crises y compris celle de 2007-2009 provenaient d’un excès de
dette. Or, le monde n’a jamais été aussi endetté qu’aujourd’hui. Selon les
pointages de la BRI (Banque des Règlements Internationaux), l’endettement
public et privé dans 44 pays (dont tous les plus grands) atteint 160.000
milliards de dollars, soit 235 % du PIB, sans parler des dettes entre
institutions financières. Pour donner un exemple, il était inférieur à 200 % du
PIB au moment de la chute de la Lehman Brothers. Des spécialistes préviennent
qu’une crise exceptionnelle et de grande ampleur aura sûrement lieu très
prochainement (ceux qui ont une « connaissance dans le milieu »
pourront vous dire qu’elle préconise de transformer nos économies en or, c’est
dire le niveau de confiance).
Trop tard pour faire machine arrière. Modifier des habitudes de surconsommation
adoptées depuis trop longtemps, ou changer un fonctionnement économique et des
systèmes capitalistes établis depuis des décennies, relève de l’impossible. On ne pourra pas obliger une société à agir contre sa nature (comme
par exemple en redistribuant les richesses de façon équitable, vieille utopie marxiste). Les Théories sur les risques d’effondrement de la civilisation industrielle nous disent, comme toute la communauté scientifique du monde entier, que nous sommes verrouillés sur une trajectoire menant droit dans le mur, et de façon imminente, à court terme. Probablement qu’aucun des films-catastrophe évoqués dans cette liste ne montre ce qui va se passer réellement. Mais Brazil (1985) de Terry Gilliam, sûrement le film le plus fou, est peut-être aussi le plus prophétique sur notre monde insensé, dangereux, caricatural, bureaucratique et irrationnel. Personne ne peut prédire l’avenir. Mais nous savons qu’il ne va pas rien se passer, et que nous ne pourrons pas continuer de vivre à crédit éternellement. Bientôt, le moteur va caler et ne redémarrera pas. Un brusque et grand changement
va alors s’opérer. Comme Hubert Reeves, on peut s’interroger sur notre capacité
à survivre dans l’avenir inconnu et probablement noir qui s’annonce ; sommes-nous programmés court, ou
serons-nous en mesure de nous adapter à un nouvel environnement ?
La fin est proche ; Apocollapse Now (dossier de 5 pages sur la collapsologie et l’effondrement, 20minutes.fr, par Laure Beaudonnet et Vincent Julé, 6 août 2018)
Dynamique Homme-Nature (Rapport HANDY) (Modélisation
des inégalités et de l’exploitation des ressources dans l’effondrement ou la
soutenabilité des sociétés, traduction de Patrick Soulignac – Loïc Steffan)